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508 AVERTISSEMENT

aui>aravant le Picard Jehan Chauvin lui avait donnée, et qu'elle avait perdue depuis (jue la théologie avait passé de mode. Il avait donné de plus la co- médie gratis aux dames genevoises, et avait formé plusieurs citoyens dans l'art de la déclamation. Les exécutions de Servet, d'Antoine et Michel Chau- dron, avaient été jusqu'alors les seuls spectacles permis par le consistoire: l'ingratitude ne pouvait donc être de son côté.

D'ailleurs ce poëmc n'a d'autre objet que de prêcher la concorde aux deux partis; et ce qui prouve que M. de Voltaire avait raison, c'est que, bientôt après, la lassitude des troubles amena une espèce de paix.

L'histoire de Robert Covelle ^ est très-vraie. Les prêtres genevois avaient l'insolence d'appeler à leur tribunal les citoyens et citoyennes accusés du crime de fornication, et les obligeaient de recevoir leur sentence à genoux: c'était rendre un service important à la république que de tourner cette extravagance en ridicule. M. Rousseau est traité dans ce poëme avec trop de dureté, sans doute; mais M. Rousseau accusait publiquement M. de Voltaire d'être un athée, le dénonçait comme l'auteur d'ouvrages irréligieux auxquels M. de Voltaire n'avait pas mis son nom -, cherchait à attirer la per- sécution sur lui, et mettait en même temps à la tète de ses persécuteurs ce vieillard dont la vie avait été une guerre continuelle contre les fauteurs de la persécution, et qui, dans ce temps-là même, prenait contre les prêtres le parti de Jean-Jacques.

M. de Voltaire vivait dans un pays où des lois barbares, établies contre la liberté de penser dans les siècles d'ignorance, n'étaient pas encore abo- lies. De telles accusations étaient donc un véritable crime, et elles doivent paraître plus odieuses encore, lorsque l'on songe que l'accusateur lui-même avait imprimé des choses plus hardies que celles qu'il reprochait à son ennemi; qu'il donnait pour un modèle de vertu un prêtre qui disait la messe pour de l'argent, sans y croire; et qu'il avait la fureur de prétendre être un bon chrétien parce qu'il avait développé en prose sérieuse cette épigramme de Jean-Baptiste Rousseau ^ :

« Oui, je voudrais connaître,

Toucher au doigt, sentir la vcritc.

— Eii bien ! courage, allons, reprit le prêtre :

Ofl'rez à Dieu votre incréduHtc. »

L'humeur qui a pu égarer M. de Voltaire n'est-elie pas excusable? Il eût dû plaindre M. Rousseau; mais un homme qui, dans son malheur,

��1. La Correspondance de Grimm, novembre 17C8, donne quelques détails sur ce personnage, qui était horloger, et bourgeois do Genève. (B.)

2. Dans la cinquième de ses Lettres écrites de la montagne^ J.-J. Rousseau pré- sente Voltaire comme auteur du Sermon des Cinquante, ouvrage auquel il n'avait pas mis son nom. (B.)

3. L'épigranime de J.-B. Rousseau commence par ce vers :

Près de sa mort une vieille incrédule. (B.)

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