Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des fleurs de lis et du peuple gaulois.
De Domremy chantons tous le village ;
Faisons passer son beau nom d’âge en âge.
FaÔ Domremy ! tes pauvres environs
N’ont ni muscats, ni pêches, ni citrons,
Ni mine d’or, ni bon vin qui nous damne ;
Mais c’est à toi que la France doit Jeanne.
Jeanne y naquit[1] : certain curé du lieu,
Faisant partout des serviteurs à Dieu,
Ardent au lit, à table, à la prière,
Moine autrefois, de Jeanne fut le père ;
Une robuste et grasse chambrière
Fut l’heureux moule où ce pasteur jeta
Cette beauté, qui les Anglais dompta.
Vers les seize ans, en une hôtellerie
On l’engagea pour servir l’écurie,
À Vaucouleurs ; et déjà de son nom
La renommée remplissait le canton.
Son air est fier, assuré, mais honnête ;
Ses grands yeux noirs brillent à fleur de tête ;
Trente-deux dents d’une égale blancheur
Sont l’ornement de sa bouche vermeille,
Qui semble aller de l’une à l’autre oreille,
Mais bien bordée et vive en sa couleur,
Appétissante, et fraîche par merveille.
Ses tétons bruns, mais fermes comme un roc,
Tentent la robe, et le casque, et le froc.
Elle est active, adroite, vigoureuse ;
Et d’une main potelée et nerveuse
Soutient fardeaux, verse cent brocs de vin,
Sert le bourgeois, le noble, et le robin ;
Chemin faisant, vingt soufflets distribue
Aux étourdis dont l’indiscrète main
Va tâtonnant sa cuisse ou gorge nue ;
Travaille et rit du soir jusqu’au matin,
Conduit chevaux, les panse, abreuve, étrille ;
Et les pressant de sa cuisse gentille,

  1. Elle était en effet native du village de Domremy, fille de Jean d’Arc et d’Isabeau, âgée alors de vingt-sept ans, et servante de cabaret ; ainsi son père n’était point curé. C’est une fiction poétique qui n’est peut-être pas permise dans un sujet grave. (Note de Voltaire, 1762.)