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POËME SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE.

Assez sage, assez grand pour être sans système,
Il les a tous détruits, et se combat lui-même :
Semblable à cet aveugle en butte aux Philistins,
Qui tomba sous les murs abattus par ses mains.
Que peut donc de l’esprit la plus vaste étendue ?
Rien : le livre du sort se ferme à notre vue.
L’homme, étranger à soi, de l’homme est ignoré.
Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d’où suis-je tiré[1] ?
Atomes tourmentés sur cet amas de boue,
Que la mort engloutit, et dont le sort se joue,
Mais atomes pensants[2], atomes dont les yeux,
Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux ;
Au sein de l’infini nous élançons notre être,
Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaître.
Ce monde, ce théâtre et d’orgueil et d’erreur,
Est plein d’infortunés qui parlent de bonheur.
Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être :

    leurs ? » Quid tandem illi mali mors attulit ? nisi forte ineptiis ac fabulis ducimur, ut existimemus illum apud inferos impiorum supplicia perferre… quæ si falsa sunt, id quod omnes intelligunt, quid ei tandem aliud mors eripuit, præter sensum doloris ? (Cap. lxi.)

    Enfin dans ses lettres, où le cœur parle, ne dit-il pas : Si non ero, sensu omnino carebo ? « Quand je ne serai plus, tout sentiment périra avec moi. » (Ep. Fam., lib. VI, ep. iii.)

    Jamais Bayle n’a rien dit d’approchant. Cependant on met Cicéron entre les mains de la jeunesse ; on se déchaîne contre Bayle : pourquoi ? c’est que les hommes sont inconséquents, c’est qu’ils sont injustes. (Note de Voltaire)

    — Au moment où se publiait le poëme sur le Désastre de Lisbonne, le parlement de Paris condamnait au feu, le 9 avril 1756, une Analyse de Bayle (par Marsy). Voltaire craignit que quelques expressions de cette note ne fussent appliquées à l’arrêt du parlement et au réquisitoire de l’avocat général Fleury. Il pria de faire quelques corrections ; mais il était trop tard. (B.)

  1. Il est clair que l’homme ne peut par lui même être instruit de tout cela. L’esprit humain n’acquiert aucune notion que par l’expérience ; nulle expérience ne peut nous apprendre ni ce qui était avant notre existence, ni ce qui est après, ni ce qui anime notre existence présente. Comment avons nous reçu la vie ? quel ressort la soutient ? comment notre cerveau a-t-il des idées et de la mémoire ? comment nos membres obéissent-ils incontinent à notre volonté ? etc. Nous n’en savons rien. Ce globe est-il seul habité ? a-t-il été fait après d’autres globes ou dans le même instant ? chaque genre de plantes vient-il ou non d’une première plante ? chaque genre d’animaux est-il produit ou non, par deux premiers animaux ? Les plus grands philosophes n’en savent pas plus sur ces matières que les plus ignorants des hommes. Il en faut revenir à ce proverbe populaire : « La poule a-t-elle été avant l’œuf, ou l’œuf avant la poule ? » Le proverbe est bas, mais il confond la plus haute sagesse, qui ne sait rien sur les premiers principes des choses sans un secours surnaturel. (Note de Voltaire, 1756)
  2. Pascal a dit : « L’homme n’est qu’un roseau, mais c’est un roseau pensant » (B.)