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DE LA LIBERTÉ.

Ta force, ton esprit, tes talents, ta beauté,
La nature en tout sens a des bornes prescrites ;
Et le pouvoir humain serait seul sans limites !
Mais, dis-moi, quand ton cœur, formé de passions,
Se rend malgré lui-même à leurs impressions,
Qu’il sent dans ses combats sa liberté vaincue,
Tu l’avais donc en toi, puisque tu l’as perdue.
Une fièvre brûlante, attaquant tes ressorts,
Vient à pas inégaux miner ton faible corps :
Mais quoi ! par ce danger répandu sur ta vie
Ta santé pour jamais n’est point anéantie ;
On te voit revenir des portes de la mort
Plus ferme, plus content, plus tempérant, plus fort.
Connais mieux l’heureux don que ton chagrin réclame :
La liberté dans l’homme est la santé de l’âme.
On la perd quelquefois ; la soif de la grandeur,
La colère, l’orgueil, un amour suborneur,
D’un désir curieux les trompeuses saillies,
Hélas ! combien, le cœur a-t-il de maladies !
Mais contre leurs assauts tu seras raffermi :
Prends ce livre sensé, consulte cet ami
(Un ami, don du ciel, est le vrai bien du sage) ;
Voilà l’Helvétius[1], le Silva, le Vernage[2],
Que le Dieu des humains, prompt à les secourir,
Daigne leur envoyer sur le point de périr.
Est-il un seul mortel de qui l’âme insensée,
Quand il est en péril, ait une autre pensée ?
Vois de la liberté cet ennemi mutin.
Aveugle partisan d’un aveugle destin :
Entends comme il consulte, approuve, délibère ;
Entends de quel reproche il couvre un adversaire ;
Vois comment d’un rival il cherche à se venger,
Comme il punit son fils, et le veut corriger.
Il le croyait donc libre ? Oui, sans doute, et lui-même
Dément à chaque pas son funeste système ;
Il mentait à son cœur en voulant expliquer
Ce dogme absurde à croire, absurde à pratiquer :
Il reconnaît en lui le sentiment qu’il brave ;
Il agit comme libre, et parle comme esclave.

  1. Père du philosophe.
  2. Fameux médecins de Paris. (Note de Voltaire, 1748.)