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DE LA LIBERTÉ.

Puisqu’elle sait douter, mérite qu’on l’éclaire.
Oui, l’homme sur la terre est libre ainsi que moi :
C’est le plus beau présent de notre commun roi.
La liberté, qu’il donne à tout être qui pense,
Fait des moindres esprits et la vie et l’essence.
Qui conçoit, veut, agit, est libre en agissant :
C’est l’attribut divin de l’Être tout-puissant ;
Il en fait un partage à ses enfants qu’il aime ;
Nous sommes ses enfants, des ombres de lui-même.
Il conçut, il voulut, et l’univers naquit :
Ainsi, lorsque tu veux, la matière obéit.
Souverain sur la terre, et roi par la pensée,
Tu veux, et sous tes mains la nature est forcée.
Tu commandes aux mers, au souffle des zéphirs,
À ta propre pensée, et même à tes désirs.
Ah ! sans la liberté que seraient donc nos âmes ?
Mobiles agités par d’invisibles flammes,
Nos vœux, nos actions, nos plaisirs, nos dégoûts,
De notre être, en un mot, rien ne serait à nous :
D’un artisan suprême impuissantes machines.
Automates pensants, mus par des mains divines[1],
Nous serions à jamais de mensonge occupés,
Vils instruments d’un Dieu qui nous aurait trompés.
Comment, sans liberté, serions-nous ses images ?
Que lui reviendrait-il de ces brutes ouvrages ?
On ne peut donc lui plaire, on ne peut l’offenser ;
Il n’a rien à punir, rien à récompenser.
Dans les cieux, sur la terre il n’est plus de justice.
Pucelle est sans vertu[2], Desfontaines sans vice :

  1. Vers souvent cité par les spiritualistes. (G. A.)
  2. L’abbé Pucelle, célèbre conseiller au parlement. L’abbé Desfontaines, homme souvent repris de justice, qui tenait une boutique ouverte où il vendait des louanges et des satires. (Note de Voltaire, 1748.) — L’abbé Pucelle était neveu de M. de Catinat. Sa mère accordait à son frère aîné une préférence que les premières années de la jeunesse du cadet semblaient excuser, et qui cependant était la seule cause de ces erreurs, dans un homme qui était né avec un caractère très-ferme et une âme ardente. Elle le déshérita ; il n’avait encore aucun état, quoiqu’il eût été tonsuré dans son enfance. Son frère vint le trouver quelques jours après, lui remit la fortune dont sa mère l’avait privé, et lui annonça en même temps qu’il avait acheté pour lui une charge de conseiller-clerc au parlement de Paris, et obtenu sa nomination à une abbaye, en ajoutant qu’il ne lui demandait d’autres preuves de reconnaissance que d’oublier l’injustice de sa mère. Le frère de l’abbé Pucelle mourut, peu de temps après, premier président du parlement de Grenoble.


    Le conseiller au parlement de Paris se fit une grande réputation par son inté-