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38i PREMIER DISCOURS. W

Do notre être imparfait voilà les éléments;

Ils composent tout Thomme, ils forment son essence;

Et Dieu nous pesa tous dans la même balance'.

1. (i Quphiuc difloroncc qui paraisse cntrrt les fortunes, il y a une certaine compensation de biens et de maux qui les rend égales. » {Réllexions moralefi de La Rochefoucauld, édition du Louvre, n" 52.)

Suivant M. Rousseau, on doit mettre une grande différence entre les maux dos dernières classes de la société et ceux qui affligent les premières, parce que, dit-il, les maux du peuple sont l'effet de la mauvaise constitution de la société; les grands, au contraire, ne sont malheureux que par leur faute.

1° Cette observation n'est pas vraie rigoureusement. Ce n'est pas absolument par sa faute que tel riche, tel gi-and, étant né un sot, et ayant reçu une mauvaise éducation, passe tristement sa vie dans l'ennui et le dégoût. Ce n'est point par sa ute qu'Ivan fut assassiné après avoir été en prison toute sa vie. Est-ce par sa ute que le Masque de fer fut mis à la Bastille? que Ifs fils du comte d'Armagnac, arrosés du sang de leur père, passèrent toute leur jeunesse dans un cachot fait en forme de hotte? D'un autre côté, parmi les hommes qui souffrent les maux de la pauvreté, un grand nombre n'aurait-il pas évite ses malheurs par plus d'activité pour le travail, plus d'économie, plus de prévoyance? Il est très-rare dans tous les états d'être uniquement malheureux par sa faute, ou de l'être sans y avoir contri- bué : le hasard et la mauvaise conduite entrent à la fois dans presque tous les malheurs des hommes.

2° Ce n'est pas de la cause des maux des différents états que parle M. de Voltaire; c'est d'une sorte d'équilibre entre les maux et les biens, qui rend ces états presque égaux. Cette manière de voir les états de la vie est consolante pour le peuple; elle conduit même à une conséquence très-utile. Si les biens et les maux des différentes conditions forment entre ces conditions une sorte de balance; si l'ennui qui poursuit les riches, si les dangers qui environnent les grands, sont un équivalent des maux auxquels la misère condamne le peuple, tous gagneront à une plus grande égalité : les uns y trouveront plus d'aisance, les autres plus de sûreté. Ne serait-il pas utile de persuader aux hommes que l'intérêt des différentes classes de la société n'est point de se séparer, mais de se rapprocher; qu'elles doivent chercher non à s'opprimer, mais à s'unir, parce qu'aucune classe ne peut augmenter son bonheur aux dépens d'une autre, mais seulement en faisant des sacrifices au bonheur commun?

Il était naturel que deux hommes dont l'un croyait que la société et les lumières corrompent l'homme, tandis que l'autre voyait dans les progrès des lumières une source de perfections pour la société et de bonheur pour l'espèce humaine, fussent* ])resque toujours d'avis contraires. Mais qui des deux a été le plus utile aux hommes? Celui sans doute dont l'opinion était la plus conforme à la vérité. (K.)

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