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LE

TEMPLE DE L’AMITIÉ[1]

(1732)

Au fond d’un bois à la paix consacré,
Séjour heureux, de la cour ignoré,
S’élève un temple, où l'art et ses prestiges
N’étalent point l’orgueil de leurs prodiges,
Où rien ne trompe et n’éblouit les yeux,
Où tout est vrai, simple, et fait pour les dieux.
De bons Gaulois de leurs mains le fondèrent ;
A l’Amitié leurs cœurs le dédièrent.
Las ! ils pensaient, dans leur crédulité,
Que par leur race il serait fréquenté.
En vieux langage on voit sur la façade
Les noms sacrés d’Oreste et de Pylade,
Le médaillon du bon Piritbous,
Du sage Acliate et du tendre Nisus,
Tous grands héros, tous amis véritables :
Ces noms sont beaux, mais ils sont dans les fables.
Les doctes sœurs ne chantent qu’en ces lieux.
Car on les siffle au superbe empyrée.
On n’y voit point Mars et sa Cythérée,
Car la discorde est toujours avec eux :
L’Amitié vit avec très-peu de dieux.
A ses côtés sa fidèle interprète,
La Vérité, charitable et discrète,
Toujours utile à qui veut l’écouter,
Attend en vain qu’on l’ose consulter :
Nul ne l’approche, et chacun la regrette.
Par contenance un livre est dans ses mains,
Où sont écrits les bienfaits des humains.
Doux monuments d’estime et de tendresse,
Donnés sans faste, acceptés sans bassesse,

  1. Ce poème est, depuis 1730, admis dans les OEuvres de Voltaire ; il est au tome IV de l'édition de 1738-39. (B.)