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LE POUR ET LE CONTRE.

Vont sur ces malheureux lancer ses mains sévères ?
Va-t-il dans le chaos plonger les éléments ?

Écoutez ; ô prodige! ô tendresse! ô mystères !
Il venait de noyer les pères,
Il va mourir pour les enfants.

Il est un peuple obscur, imbécile, volage,
Amateur insensé des superstitions,
Vaincu par ses voisins, rampant dans l’esclavage,
Et l’éternel mépris des autres nations :
Le fils de Dieu, Dieu même, oubliant sa puissance,
Se fait concitoyen de ce peuple odieux ;
Dans les flancs d’une Juive il vient prendre naissance ;
Il rampe sous sa mère, il souffre sous ses yeux
Les infirmités de l’enfance.
Longtemps, vil ouvrier, le rabot à la main,
Ses beaux jours sont perdus dans ce lâche exercice ;
Il prêche enfin trois ans le peuple iduméen,
Et périt du dernier supplice.
Son sang du moins, le sang d’un Dieu mourant pour nous,

N’était-il pas d’un prix assez noble, assez rare,
Pour suffire à parer les coups
Que l’enfer jaloux nous prépare ?
Quoi ! Dieu voulut mourir pour le salut de tous,

Et son trépas est inutile !
Quoi ! l’on me vantera sa clémence facile,
Quand remontant au ciel il reprend son courroux,
Quand sa main nous replonge aux éternels abîmes,
Et quand, par sa fureur effaçant ses bienfaits,
Ayant versé son sang pour expier nos crimes,
Il nous punit de ceux que nous n’avons point faits !
Ce Dieu poursuit encore, aveugle en sa colère,
Sur ses derniers enfants l’erreur d’un premier père ;

Il en demande compte à cent peuples divers
Assis dans la nuit du mensonge ;
Il punit au fond des enfers
L’ignorance invincible où lui-même il les plonge,

Lui qui veut éclairer et sauver l’univers !
Amérique, vastes contrées,
Peuples que Dieu fit naître aux portes du soleil,
Vous, nations hyperborées,
Que l’erreur entretient dans un si long sommeil,