Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Médicis le Magnifique ; et il est rapporté[1] qu’on chantait le Morgante à la table de cette dame. C’est le second poëme épique qu’ait eu l’Italie. Il y a eu de grandes disputes parmi les savants pour savoir si c’est un ouvrage sérieux ou plaisant.

Ceux qui l’ont cru sérieux se fondent sur l’exorde de chaque chant, qui commence par des versets de l’Écriture. Voici, par exemple, l’exorde du premier chant :

In principio era il Verbo appresso a Dio ;
Ed era Iddio il Verbo, e’l Verbo lui.
Questo era il principio al parer mio, etc.

Si le premier chant commence par l’Évangile, le dernier finit par le Salve regina ; et cela peut justifier l’opinion de ceux qui ont cru que l’auteur avait écrit très-sérieusement, puisque, dans ces temps-là, les pièces de théâtre qu’on jouait en Italie étaient tirées de la Passion et des Actes des saints.

Ceux qui ont regardé le Morgante comme un ouvrage badin n’ont considéré que quelques hardiesses trop fortes, auxquelles il s’abandonne.

Morgante demande à Margutte s’il est chrétien ou mahométan :

E se egli crede in Cristo o in Maometto[2].
Rispose allor Margutte : A dirtel tosto,
Io non credo più al nero che al azzuro ;
Ma nel cappone, o lesso o vuogli arrosto :
.................
Ma sopra tutto nel buon vino ho fede :
E credo che sia salvo chi gli crede[3].
Or queste son tre virtù cardinale,
La gola, e’l culo, e’l dado, come io t’ho detto[4].

  1. Bernardo Tasso (Lettere ; Padova, 1733-51, I, 147 ; II, 307), que Voltaire semble vouloir désigner ici, est la seule autorité sur laquelle s’appuie Crescimbeni, qui rapporte le même fait ; mais un éditeur du Pulci fait remarquer que son récit n’a été mis en doute par personne. (R.)
  2. On lit dans le Pulci (cant. xviii, st. 114) les trois vers suivants, qui renferment la même idée, ainsi que l’a observé M. Louis du Bois :

    Dimmi piu oltre, io non t’ho domandato,
    Se se’ cristiano, o se se’ sarasino,
    O se tu credi in Cristo o in Apollino.(R.)

  3. Cant. xviii, st. 115. (R.)
  4. Ces deux vers ont, depuis longtemps, été remplacés par les suivants (cant. xviii st. 132) dans les éditions publiées en Italie :

    Or queste son le mie virtù morale
    La gola, e’l bere, e’l dado ch’io t’ho detto. (R.)