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O La Trimouille ! ô vous, royal amant !
Qui me peindra votre ravissement ?
On n’entendait que ces mots : " Ah ! ma belle,
Mon tout, mon roi, mon ange, ma fidèle,
C’est vous ! c’est toi ! jour heureux ! doux moments ! "
Et des baisers, et des embrassements,
Cent questions, cent réponses pressées ;
Leur voix ne peut suffire à leurs pensées.
Le confesseur, d’un paternel regard,
Les lorgnait tous, et priait à l’écart.
Le grand bâtard et sa fière maîtresse
Modestement s’expliquaient leur tendresse.
De leurs amours le rare compagnon
Élève alors la tête avec le ton ;
Il entonna l’octave discordante
De son gosier de cornet à bouquin.
A cette octave, à ce bruit tout divin,
Tout fut ému : la nature tremblante
Frémit d’horreur ; et Jeanne vit soudain
Tomber les murs de ce palais magique,
Cent tours d’acier et cent portes d’airain ;
Comme autrefois la horde mosaïque
Fit voir, au son de sa trompe hébraïque,
De Jéricho le rempart écroulé.
Réduit en poudre, à la terre égalé :
Le temps n’est plus de semblable pratique.



Alors, alors ce superbe palais,
Si brillant d’or, si noirci de forfaits,
Devint un ample et sacré monastère.
Le salon fut en chapelle changé.
Le cabinet où ce maître enragé
Avait dormi dans le vice plongé
Transmué fut en un beau sanctuaire.
L’ordre de Dieu, qui préside aux destins,
Ne changea point la salle des festins[1] ;
Mais elle prit le nom de réfectoire ;
On y bénit le manger et le boire.
Jeanne, le cœur élevé vers les saints,
Vers Orléans, vers le sacre de Reims,

  1. Jéricho, comme vous savez, tomba au son des cornemuses; c'est un événement très-commun. [Jos., vi, 20.] (Note de Voltaire, 1762.)