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Court après lui, de pleurs toute baignée.



Comme ils couraient dans ce vaste pourpris,
L’un se signant, et l’autre tout en larmes,
Ils sont frappés des plus lugubres cris.
Un jeune objet, touchant, rempli de charmes,
Avec frayeur embrassait les genoux
D’un chevalier qui, couvert de ses armes,
L’allait bientôt immoler sous ses coups.
Peut-on connaître à cette barbarie
Ce La Trimouille, et ce parfait amant
Qui de grand cœur, en tout autre moment,
Pour Dorothée aurait donné sa vie ?
Il la prenait pour le fier Tirconel :
Elle n’avait nul trait en son visage
Qui ressemblât à cet Anglais cruel ;
Elle cherchait le héros qui l’engage,
Le cher objet d’un amour immortel ;
Et, lui parlant sans pouvoir le connaître,
Elle lui dit : " Ne l’avez-vous point vu,
Ce chevalier qui de mon cœur est maître,
Qui près de moi dans ces lieux est venu ?
Mon La Trimouille, hélas ! est disparu.
Que fait-il donc ? de grâce, où peut-il être ? "
Le Poitevin, à ces touchants discours,
Ne connut point ses fidèles amours.
Il croit entendre un Anglais implacable,
Qui vient sur lui prêt à trancher ses jours.
Le fer en main il se met en défense,
Vers Dorothée en mesure il avance.
" Je te ferai, dit-il changer de ton,
Fier, dédaigneux, triste, arrogant Breton.
Dur insulaire, ivre de bière forte,
C’est bien à toi de parler de la sorte,
De menacer un homme de mon nom !
Moi petit-fils des Poitevins célèbres
Dont les exploits, au séjour des ténèbres,
Ont fait passer tant d’Anglais valeureux,
Plus fiers que toi, plus grands, plus généreux.
Eh quoi ! ta main ne tire pas l’épée !
De quel effroi ta vile âme est frappée !
Fier en discours, et lâche en action,
Chevreuil anglais, Thersite d’Albion,