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sacrés de l’humanité, attaqués et violés impunément, l’esprit humain abruti par l’erreur, la rage du fanatisme et celle des conquêtes ou des rapines agiter sourdement tant d’hommes puissants, les fureurs de l’ambition et de l’avarice exerçant partout leurs ravages avec impunité, et qu’on entend un prédicateur tonner contre les erreurs de la volupté, il semble voir un médecin, appelé auprès d’un pestiféré, s’occuper gravement à le guérir d’un cor au pied.

Il ne sera peut-être pas inutile d’examiner ici pourquoi l’on attache tant d’importance à l’austérité des mœurs. 1° Dans les pays où les hommes sont féroces, et où il y a de mauvaises lois, l’amour ou le goût du plaisir produisent de grands désordres ; et il a toujours été plus facile de faire des déclamations que de bonnes lois ; 2° les vieillards, qui naturellement possèdent toute l’autorité, et dirigent les opinions, ne demandent pas mieux que de crier contre des fautes qui sont celles d’un autre âge ; 3° la liberté des mœurs détruit le pouvoir des femmes, les empêche de l’étendre au delà du terme de la beauté ; 4° la plupart des hommes ne sont ni voleurs, ni calomniateurs, ni assassins. Il est donc très-naturel que partout les prêtres aient voulu exagérer les fautes des mœurs. Il y a peu d’hommes qui en soient exempts ; la plupart même mettent de l’amour-propre à en commettre, ou du moins à en avoir envie : de manière que tout homme à qui on a inspiré des scrupules sur cet objet devient l’esclave du pouvoir sacerdotal.

Les prêtres peuvent laisser en repos la conscience des grands sur leurs crimes, et, en leur inspirant des remords sur leurs plaisirs, s’emparer d’eux, les gouverner, et faire d’un voluptueux un persécuteur ardent et barbare.

Ils n’ont que ce moyen de se rendre maîtres des femmes, qui, pour la plupart, n’ont à se reprocher que des fautes de ce genre. Ils s’assurent par là un moyen de gouverner despotiquement les esprits faibles, les imaginations ardentes, et surtout les vieillards, qui, en expiation des vieilles fautes qu’ils ne peuvent plus répéter, ne demandent pas mieux que de dépouiller leurs héritiers en faveur des prêtres.

Nous observerons, en cinquième lieu, que ces mêmes fautes sont précisément celles pour lesquelles on peut se rendre sévère en faisant moins de sacrifices. Il n’y a point de vertu qu’il soit si facile de pratiquer, ou de faire semblant de pratiquer, que la chasteté ; il n’y en a point qui soit plus compatible avec l’absence de toute vertu réelle, et l’assemblage de tous les vices : en sorte que du moment où il est convenu d’y attacher une grande importance, tous les fripons sont sûrs d’obtenir à peu de frais la considération publique.

Aussi cherchez sur tout le globe un pays où, nous ne disons pas la pureté qui tient à la simplicité, mais l’austérité de mœurs soit en grand crédit, et vous serez sûr d’y trouver tous les vices et tous les crimes, même ceux que la débauche fait commettre.