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Elle parlait au voyageur qu’elle aime,
Et lui montrait les plus grands sentiments,
Lorsqu’un démon trop funeste aux amants,
Pour leur malheur, vers Arondel attire
Le dur Poton et le jeune La Hire,
Et Richement qui n’a pitié de rien.
Poton, voyant le grave et fier maintien
De notre Anglais, tout indigné s’élance
Sur le causeur, et d’un grand coup de lance,
Qui par le flanc sort au milieu du dos,
D’un sang trop froid lui fait verser des flots :
Il tombe et meurt ; et la lance cassée
Roule avec lui dans son corps enfoncée.



A ce spectacle, à ce moment affreux,
On ne vit point la belle Rosamore
Se renverser sur l’amant qu’elle adore,
Ni s’arracher l’or de ses blonds cheveux,
Ni remplir l’air de ses cris douloureux,
Ni s’emporter contre la Providence ;
Point de soupirs ; elle cria : " Vengeance ! "
Et dans l’instant que Poton se baissait
En ramassant son fer qui se cassait,
Ce bras tout nu, ce bras dont la puissance
Avait d’un coup séparé dans un lit
Un chef grison du cou d’un vieux bandit,
Tranche à Poton la main trop redoutable,
Cette main droite à ses yeux si coupable.
Les nerfs cachés sous la peau des cinq doigts
Les font mouvoir pour la dernière fois ;
Poton depuis ne sut jamais écrire.



Mais dans l’instant le brave et beau La Hire
Porte au guerrier, du grand Poton vainqueur,
Un coup mortel qui lui perce le cœur.
Son casque d’or, que sa chute détache,
Découvre un sein de roses et de lis ;
Son front charmant n’a plus rien qui le cache ;
Ses longs cheveux tombent sur ses habits ;
Ses grands yeux bleus dans la mort endormis,
Tout laisse voir une femme adorable,
Et montre un corps formé pour les plaisirs.
Le beau La Hire en pousse des soupirs,
Répand des pleurs, et d’un ton lamentable