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Ces ouvrages peuvent être pernicieux, parce qu’il est à craindre qu’ils ne rendent les jeunes gens qui les lisent avec avidité insensibles aux plaisirs honnêtes, à la douce et pure volupté qui naît de la nature.

Or il n’y a rien dans la Pucelle qui puisse mériter aucun de ces reproches. Les peintures voluptueuses des amours d’Agnès et de Dorothée peuvent amuser l’imagination, et non la corrompre. Les plaisanteries plus libres dont l’ouvrage est semé ne sont ni l’apologie des actions qu’elles peignent, ni une peinture de ces actions propre à égarer l’imagination.

Ce poëme est un ouvrage destiné à donner des leçons de raison et de sagesse^ sous le voile de la volupté et de la folie. L’auteur peut y avoir blessé quelquefois le goût, et non la morale.

Nous ne prétendons pas donner ce poëme pour un catéchisme ; mais il est du même genre que ces chansons épicuriennes, ces couplets de table, où l’on célèbre l’insouciance dans la conduite, les plaisirs d’une vie voluptueuse, et la douceur d’une société libre, animée par la gaieté d’un repas. A-t-on jamais accusé les auteurs de ces chansons de vouloir établir qu’il fallait négliger tous ses devoirs, passer sa vie dans les bras d’une femme ou autour d’une table ? Non, sans doute : ils ont voulu dire seulement qu’il y avait plus de raison, d’innocence et de bonheur dans une vie voluptueuse et douce, que dans une vie occupée d’intrigues, d’ambition, d’avidité, ou d’hypocrisie.

Cette espèce d’exagération, qui naît de l’enthousiasme, est nécessaire dans la poésie. Viendra-t-il un temps où l’on ne parlera que le langage exact et sévère de la raison ? Mais ce temps est bien éloigné de nous, car il faudrait que tous les hommes pussent entendre ce langage. Pourquoi ne serait-il point permis d’en emprunter un autre pour parler à ceux qui n’entendent point celui-ci ?

D’ailleurs, ce mélange de dévotion, de libertinage, et de férocité guerrière, peint dans la Pucelle, est l’image naïve des mœurs du temps[1].

Voilà, à ce qu’il nous semble, dans quel esprit les hommes sévères doivent lire la Pucelle et nous espérons qu’ils seront moins prompts à la condamner.

Enfin, ce poëme n’eût-il servi qu’à empêcher un seul libertin de devenir superstitieux et intolérant dans sa vieillesse, il aurait fait plus de bien que toutes les plaisanteries ne feront jamais de mal. Lorsqu’on jetant un coup d’œil attentif sur le genre humain, on voit les droits des hommes, les devoirs

  1. Un chanoine de Paris, zélé Bourguignon, rapporte en propres termes, dans ses Annales, que plusieurs de nos compilateurs d’histoires de France ont eu la bonté de copier, que, sous le règne de Charles VI, Dieu affligea la ville de Paris d’une toux générale, en punition de ce que les petits garçons chantaient dans les rues : « Votre… a la toux, commère ; votre… a la toux. » (K.) — Le Journal de Paris sous les règnes de Charles VI et de Charles VII, où se trouve, à la date du 17 février 1412, l’anecdote citée par Condorcet, « est attribué par aucuns à un curé de Paris et docteur en théologie, » dit D. Godefroy, Histoire de Charles VI ; Paris, 1653, in-folio, page 497. C’est probablement cet ouvrage qu’avait en vue Condorcet, qui, sans doute, en parlait de mémoire. (R.)