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Fit aussitôt seoir à sa table ronde
Saint Fortunat[1], peu connu dans le monde,
Et qui passait pour l’auteur du _Pange_ ;
Et saint Prosper, d’épithètes chargé[2],
Quoique un peu dur et qu’un peu janséniste.
Il mit aussi Grégoire dans sa liste,
Le grand Grégoire, évêque tourangeau[3],
Cher au pays qui vit naître Bonneau ;



Et saint Bernard fameux par l’antithèse[4],
Qui dans son temps n’avait pas son pareil ;
Et d’autres saints pour servir de conseil :
Sans prendre avis, il est rare qu’on plaise.



George, en voyant tous ces soins de Denys,
Le regardait d’un dédaigneux souris ;
Il avisa dans le sacré pourpris
Un saint Austin, prêcheur de l’Angleterre[5],
Puis en ces mots il lui dit son avis :



" Bonhomme Austin, je suis né pour la guerre,
Non pour les vers dont je fais peu de cas ;
Je sais brandir mon large cimeterre,
Pourfendre un buste, et casser tête et bras ;
Tu sais rimer : travaille, versifie,
Soutiens en vers l’honneur de la patrie.
Un seul Anglais, dans les champs de la mort,
De trois Français triomphe sans effort.
Nous avons vu devers la Normandie,

  1. Fortunat, évêque de Poitiers, poëte. Il n’est pas l’auteur du Pange lingua qu’on lui attribue. (Note de Voltaire, 1762.) — Le Pange lingua est de Claudien Mamert, le plus beau génie de son siècle, au jugement de Sidoine Apollinaire. (R.)
  2. Saint Prosper, auteur d’un poëme fort sec sur la grâce, au ve siècle. (Note de Voltaire, 1762.) — Le Poëme de saint Prosper contre les ingrats, traduit en vers français par Lemaistre de Sacy, a été souvent réimprimé avec cette traduction. L’auteur y attaque les semi-pélagiens, ingrats, suivant lui, envers la grâce de Jésus-Christ. (R.)
  3. Grégoire de Tours, le premier qui écrivit une Histoire de France, toute pleine de miracles. (Note de Voltaire, 1762.)
  4. Saint Bernard, Bourguignon, né en 1091, moine de Cîteaux, puis abbé de Clairvaux; il entra dans toutes les affaires publiques de son temps, et agit autant qu’il écrivit. On ne voit pas qu’il ait fait beaucoup de vers. Quant à l’antithèse dont notre auteur le glorifie, il est vrai qu’il était grand amateur de cette figure. Il dit d’Abélard : « Leonem invasimus, incidimus in draconem. » Sa mère, étant grosse de lui, songea qu’elle accouchait d’un chien blanc, et on lui prédit que son fils serait moine, et aboierait contre les mondains. (Id., 1762.)
  5. Saint Austin ou Augustin, moine qu’on regarde comme le fondateur de la primatie de Cantorbéry, ou Kenterbury. (Id., 1762.)