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gers auxquels il s’exposerait s’il ne l’achetait pas ; et le célèbre anatomiste poëte Haller, zélé protestant, protégea Grasset contre M. de Voltaire[1].

Nous voyons, par la lettre de l’auteur à l’Académie française, que nous avons jointe à la préface[2], que cette première édition fut faite à Francfort, sous le titre de Louvain. Il en parut, fort peu de temps après, deux éditions semblables en Hollande.

Les premiers éditeurs, irrités du désaveu de M. de Voltaire, consigné dans les papiers publics, réimprimèrent la Pucelle en 1756, y joignirent le désaveu pour s’en moquer, et plusieurs pièces satiriques contre l’auteur. En se décelant ainsi eux-mêmes, ils empêchèrent une grande partie du mal qu’ils voulaient lui faire.

En 1757, il parut à Londres une autre édition de ce poëme, conforme aux premières, et ornée de gravures d’aussi bon goût que les vers des éditeurs : les réimpressions se succédèrent rapidement, et la Pucelle fut imprimée à Paris, pour la première fois, en 1759.

Ce fut en 1762 seulement que M. de Voltaire publia une édition de son ouvrage, très-différente de toutes les autres. Ce poëme fut réimprimé en 1774, dans l’édition in-4o, avec quelques changements et des additions assez considérables. C’est d’après cette dernière édition, revue et corrigée encore sur d’anciens manuscrits, que nous donnons ici la Pucelle.

Plusieurs entrepreneurs de librairie, en imprimant ce poëme, ont eu soin de rassembler les variantes, ce qui nous a obligés de prendre le même parti dans cette édition. Cependant, comme parmi ces variantes il en est quelques-unes qu’il est impossible de regretter, qui ne peuvent appartenir à M. de Voltaire, et qui ont été ajoutées par les éditeurs pour remplir les lacunes des morceaux que l’auteur n’avait pas achevés, nous avons cru pouvoir les supprimer, du moins en partie.

L’impossibilité d’anéantir ce qui a été imprimé tant de fois, et la nécessité de prouver aux lecteurs les interpolations des premiers éditeurs, sont les seuls motifs qui nous aient engagés à conserver un certain nombre de ces variantes.

Il nous reste maintenant à défendre la Pucelle contre les hommes graves qui pardonnent beaucoup moins à M. de Voltaire d’avoir ri aux dépens de Jeanne d’Arc, qu’à Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, de l’avoir fait brûler vive.

Il nous paraît qu’il n’y a que deux espèces d’ouvrages qui puissent nuire aux mœurs : 1° ceux où l’on établirait que les hommes peuvent se permettre sans scrupule et sans honte les crimes relatifs aux mœurs, tels que le viol, le rapt, l’adultère, la séduction, ou des actions honteuses et dégoûtantes qui, sans être des crimes, avilissent ceux qui les commettent : 2° les ouvrages où l’on détaille certains raffinements de débauche, certaines bizarreries des imaginations libertines.

  1. Voyez dans la Correspondance (13 février 1759) la lettre de Voltaire à Haller, et la réponse de ce dernier. (R.)
  2. On la trouve dans la Correspondance, au mois de novembre 1755. (R.)