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Il fait de l’autre avancer ses soldats,
Criant _Louvet ! _ d’une voix stentorée[1] :
Louvet l’entend, et s’en tient honorée.
Tous les Anglais criaient aussi _Louvet ! _
Mais sans savoir ce que Talbot voulait.
O sots humains ! on sait trop vous apprendre
A répéter ce qu’on ne peut comprendre.



Charle, en son fort tristement replié,
D’autres Anglais par malheur entouré,
Ne peut marcher vers la ville attaquée ;
D’accablement son âme est suffoquée.
" Quoi ! disait-il, ne pouvoir secourir
Mes chers sujets que mon œil voit périr !
Ils ont chanté le retour de leur maître ;
J’allais entrer, et combattre, et peut-être
Les délivrer des Anglais inhumains :
Le sort cruel enchaîne ici mes mains.
— Non, lui dit Jeanne, il est temps de paraître.
Venez ; mettez, en signalant vos coups,
Ces durs Bretons entre Orléans et vous.
Marchez, mon prince, et vous sauvez la ville.
Nous sommes peu, mais vous en valez mille. "
Charles lui dit : " Quoi ! vous savez flatter !
Je vaux bien peu ; mais je vais mériter
Et votre estime, et celle de la France,
Et des Anglais. " Il dit, pique, et s’avance.
Devant ses pas l’oriflamme est porté[2] ;
Jeanne et Dunois volent à son côté.
Il est suivi de ses gens d’ordonnance ;

  1. Stentor était le crieur d'Homère. Il est immortalisé pour ce beau talent, et le mérite bien. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Voltaire a toujours fait le mot oriflamme du genre masculin; et peut-être est-ce à tort que dans plusieurs éditions de ses Œuvres on a mis, au chapitre x de l’Essai sur les mœurs, « l'oriflamme apportée à saint Denis par un ange , » au lieu d'apporté qu'on lit dans toutes celles qui ont été publiées du vivant de l'auteur. L'Académie, il est vrai, a décidé depuis longtemps que ce mot appartient au genre féminin ; mais cette autorité n'était pas sans doute d'un grand poids auprès de Voltaire, qui disait à l'un de ses amis : « Je vous remercie d'écrire toujours français par a, car l'Académie l'écrit par o.»

    M. Louis du Bois, qui a annoté le poëme de la Pucelle pour l'édition donnée par M. Delangle, a remarqué, avec raison, qu'oriflamme est du genre féminin.
    Plusieurs autres observations non moins judicieuses du même éditeur ont été mises de coté par moi; elles m'ont paru plus convenables pour un commentaire grammatical que dans de simples annotations. (R.)