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— Vous pourriez bien risquer ici le vôtre,
Lui dit l’Anglais : nous savons l’un et l’autre
Notre portée ; et Jean Chandos peut bien
Lorgner un dos, mais non montrer le sien. "



Le beau Français et le Breton qui raille
Font préparer leurs chevaux de bataille.
Chacun reçoit des mains d’un écuyer
Sa longue lance et son rond bouclier,
Se met en selle, et d’une course fière,
Passe, repasse, et fournit sa carrière.
De Dorothée et les cris et les pleurs
N’arrêtaient point l’un et l’autre adversaire.
Son tendre amant lui criait : " Beauté chère,
Je cours pour vous, je vous venge, ou je meurs. "
Il se trompait : sa valeur et sa lance
Brillaient en vain pour l’Amour et la France.



Après avoir en deux endroits percé
De Jean Chandos le haubert fracassé,
Prêt à saisir une victoire sûre,
Son cheval tombe, et, sur lui renversé,
D’un coup de pied sur son casque faussé,
Lui fait au front une large blessure.
Le sang vermeil coule sur la verdure.
L’ermite accourt ; il croit qu’il va passer,
Crie _In manus_, et le veut confesser.
Ah, Dorothée ! ah, douleur inouïe !
Auprès de lui sans mouvement, sans vie,
Ton désespoir ne pouvait s’exhaler :
Mais que dis-tu lorsque tu pus parler ?



" Mon cher amant, c’est donc moi qui te tue !
De tous tes pas la compagne assidue
Ne devait pas un moment s’écarter ;
Mon malheur vient d’avoir pu te quitter.
Cette chapelle est ce qui m’a perdue ;
Et j’ai perdu La Trimouille et l’Amour,
Pour assister à deux messes par jour ! "
Ainsi parlait sa tendre amante en larmes.



Chandos riait du succès de ses armes :
" Mon beau Français, la fleur des chevaliers,
Et vous aussi, dévote Dorothée,
Couple amoureux, soyez mes prisonniers ;
De nos combats c’est la loi respectée.