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Mais saint Denys était loin de permettre
Qu’aux yeux du ciel Jean Chandos allât mettre
Et la Pucelle et la France aux abois.
Ami lecteur, vous avez quelquefois
Ouï conter qu’on nouait l’aiguillette[1].
C’est une étrange et terrible recette,
Et dont un saint ne doit jamais user
Que quand d’une autre il ne peut s’aviser.
D’un pauvre amant le feu se tourne en glace ;
Vif et perclus sans rien faire il se lasse ;
Dans ses efforts étonné de languir,
Et consumé sur le bord du plaisir.
Telle une fleur, des feux du jour séchée,
La tête basse et la tige penchée,
Demande en vain les humides vapeurs
Qui lui rendaient la vie et les couleurs.
Voilà comment le bon Denys arrête
Le fier Anglais dans ses droits de conquête.



Jeanne, échappant à son vainqueur confus,
Reprend ses sens quand il les a perdus ;
Puis d’une voix imposante et terrible,
Elle lui dit : " Tu n’es pas invincible :
Tu vois qu’ici, dans le plus grand combat,
Dieu t’abandonne, et ton cheval s’abat ;
Dans l’autre un jour je vengerai la France,
Denys le veut, et j’en ai l’assurance ;
Et je te donne avec tes combattants
Un rendez-vous sous les murs d’Orléans. "
Le grand Chandos lui repartit : " Ma belle,
Vous m’y verrez ; pucelle ou non pucelle,
J’aurai pour moi saint George le très-fort,
Et je promets de réparer mon tort. "

  1. On portait autrefois dos hauts-dc-chausses attachés avec une aiguillette; et ou disait d'un homme qui n'avait pu s'acquitter de son devoir que son aiguillette était nouée. Les sorciers ont de tout temps passé pour avoir le pouvoir d'empêcher la consommation du mariage : cela s'appelait nouer l'aiguillette. La mode des aiguillettes passa sous Louis XIV, quand on mit des boutons aux braguettes. (Note de Voltaire, 1762.)