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Puis tire à lui, fait tomber sur l’autel,
Avec grand bruit, le rideau sous lequel
Se blottissait cette aimable figure
Qu’à son plaisir façonna la nature.
Son dos tourné par pudeur étalait
Ce que César sans pudeur soumettait
A Nicomède en sa belle jeunesse[1],
Ce que jadis le héros de la Grèce
Admira tant dans son Éphestion[2],
Ce qu’Adrien mit dans le Panthéon :
Que les héros, ô ciel, ont de faiblesse !



Si mon lecteur n’a point perdu le fil
De cette histoire, au moins se souvient-il
Que dans le camp la courageuse Jeanne
Traça jadis au bas d’un dos profane,
D’un doigt conduit par monsieur saint Denys,
Adroitement trois belles fleurs de lis.
Cet écusson, ces trois fleurs, ce derrière,
Émurent Charle : il se mit en prière ;
Il croit que c’est un tour de Belzébut.
De repentir et de douleur atteinte,
La belle Agnès s’évanouit de crainte.
Le prince alors, dont le trouble s’accrut,
Lui prend les mains : " Qu’on vole ici vers elle,
Accourez tous ; le diable est chez ma belle. "
Aux cris du roi le confesseur troublé,
Non sans regret quitte aussitôt la table ;
L’ami Bonneau monte tout essoufflé ;
Jeanne s’éveille, et, d’un bras redoutable
Prenant ce fer que la victoire suit,
Cherche l’endroit d’où partait tout le bruit :
Et cependant le baron de Cutendre
Dormait à l’aise, et ne put rien entendre.

  1. Des ignorants, dans les éditions prccédentes toutes tronquées, avaient imprimé Licomède au lieu de Nicomède : c'était un roi de Bithynie. « Caesar in Bithyniam missus, dit Suétone, desedit apud Nicomedem, non sine rumore prostratæ régi pudicitiæ [C.-J. Cœs., 2.] (Note de Voltaire, 1762.)
  2. « Alexander pædicator Hephæstionis, Adrianus Antinoi. » Non-seulement l'empereur Adrien fit mettre la statue d'Antinoüs dans le Panthéon, mais il lui érigea un temple; et Tertullien avoue qu'Antinoüs faisait des miracles. (Id., 1762.)