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Les trois Français, il sentit que son cœur
Du doux espoir éprouvait la chaleur ;
Et d’une grâce adroite et non commune
Cachant son nom, et surtout son ardeur,
Dès qu’il parut, dès qu’il se fit entendre,
Il inspira je ne sais quoi de tendre ;
Il plut au prince, et le moine bénin
Le caressait de son air patelin,
D’un œil dévot, et du plat de la main.



Le nombre pair étant formé de quatre,
On vit bientôt les deux flèches abattre
Le pont mobile ; et les quatre coursiers
Font en marchant gémir les madriers[1].
Le gros Bonneau tout essoufflé chemine,
En arrivant, droit devers la cuisine,
Songe au souper ; le moine au même lieu
Dévotement en rendit grâce à Dieu.
Charles, prenant un nom de gentilhomme,
Court à Cutendre, avant qu’il prît son somme.
Le bon baron lui fit son compliment,
Puis le mena dans son appartement.
Charle a besoin d’un peu de solitude,
Il veut jouir de son inquiétude ;
Il pleure Agnès : il ne se doutait pas
Qu’il fût si près de ses jeunes appas.



Le beau Monrose en sut bien davantage.
Avec adresse il fit causer un page ;
Il se fit dire où reposait Agnès,
Remarquant tout avec des yeux discrets.
Ainsi qu’un chat, qui d’un regard avide
Guette au passage une souris timide,
Marchant tout doux, la terre ne sent pas
L’impression de ses pieds délicats ;
Dès qu’il la vue, il a sauté sur elle :
Ainsi Monrose, avançant vers la belle,
Étend un bras, puis avance à tâtons,
Posant l’orteil et haussant les talons.
Agnès, Agnès, il entre dans la chambre !
Moins promptement la paille vole à l’ambre,

  1. Ce sont les planches du pont: elles ne prennent le nom de madriers que quand elles ont quatre pouces d'épaisseur. (Note de Vollaire, 1762.)