Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée

Du changement dans l’amoureux mystère.
Le vieux Booz en son vieux lit reçut
Après moisson la bonne et vieille Ruth ;
Et, sans compter la belle Bethsabée,
Du bon David l’âme fut absorbée
Dans les plaisirs de son ample sérail.
Son vaillant fils, fameux par sa crinière,
Un beau matin, par vertu singulière,
Vous repassa tout ce gentil bercail.
De Salomon vous savez le partage :
Comme un oracle on écoutait sa voix ;
Il savait tout ; et des rois le plus sage
Était aussi le plus galant des rois.
De leurs péchés si vous suivez la trace,
Si vos beaux ans sont livrés à l’amour,
Consolez-vous ; la sagesse a son tour.
Jeune on s’égare, et vieux on obtient grâce.
— Ah ! dit Charlot, ce discours est fort bon ;
Mais que je suis bien loin de Salomon !
Que son bonheur augmente mes détresses !
Pour ses ébats il eut trois cent maîtresses[1],
Je n’en ai qu’une ; hélas ! je ne l’ai plus. "
Des pleurs alors, sur son nez répandus,
Interrompaient sa voix tendre et plaintive,
Lorsqu’il avise, en tournant vers la rive,
Sur un cheval trottant d’un pas hardi,
Un manteau rouge, un ventre rebondi,
Un vieux rabat ; c’était Bonneau lui-même.
Or chacun sait qu’après l’objet qu’on aime
Rien n’est plus doux pour un parfait amant
Que de trouver son très-cher confident.
Le roi, perdant et reprenant haleine,
Crie à Bonneau : " Quel démon te ramène ?
Que fait Agnès ? dis ; d’où viens-tu ? quels lieux
Sont embellis, éclairés par ses yeux[2] ?

  1. Charles oublie sept cents femmes, ce qui fait mille. Mais en cela nous ne pouvons qu'applaudir à la retenue de l'auteur et à sa sagesse. (Note de Voltaire. 1762.)
  2. La Fontaine avait dit (liv. IX, fab. 2):
    · · · · · · · · · · · · · · · Les lieux
    Honorés par les pas, éclairas par les yeux
    De l'aimable et jeune bergère.