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Lors, brandissant le fatal cimeterre,
Il pousse à George, il le presse, il le serre.
George indigné lui fait tomber en bref
Trois horions sur son malheureux chef.
Tous sont parés ; Denys garde sa tête,
Et de ses coups dirige la tempête
Sur le cheval et sur le cavalier.
Le feu jaillit sur l’élastique acier ;
Les fers croisés, et de taille et de pointe,
A tout moment vont, au fort du combat,
Chercher le cou, le casque, le rabat,
Et l’auréole[1], et l’endroit délicat
Où la cuirasse à l’aiguillette est jointe.



Ces vains efforts les rendaient plus ardents ;
Tous deux tenaient la victoire en suspens,
Quand de sa voix terrible et discordante
L’âne entonna son octave écorchante.
Le ciel en tremble ; Écho du fond des bois
En frémissant répète cette voix.
George pâlit : Denys d’une main leste
Fait une feinte, et d’un revers céleste
Tranche le nez du grand saint d’Albion[2].
Le bout sanglant roule sur son arçon.



George, sans nez, mais non pas sans courage,
Venge à l’instant l’honneur de son visage,
Et jurant Dieu, selon les nobles _us_
De ses Anglais, d’un coup de cimeterre
Coupe à Denys ce que jadis saint Pierre,
Certain jeudi, fit tomber à Malchus.



A ce spectacle, à la voix ampoulée
De l’âne saint, à ces terribles cris,
Tout fut ému dans les divins lambris.
Le beau portail de la voûte étoilée
S’ouvrit alors, et des arches du ciel
On vit sortir l’archange Gabriel,
Qui, soutenu sur ses brillantes ailes,
Fend doucement les plaines éternelles
Portant en main la verge qu’autrefois

  1. Voyez la note 1 de la page 34.
  2. Toujours imitation d’Homère, qui fait blesser Mars lui-même. (Note de Voltaire, 1762). — Iliade, v. 34.