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" O grand saint George, ô mon puissant confrère
Veux-tu toujours écouter ta colère ?
Depuis le temps que nous sommes au ciel,
Ton cœur dévot est tout pétri de fiel.
Nous faudra-t-il, bienheureux que nous sommes,
Saints enchâssés, tant fêtés chez les hommes,
Nous qui devons l’exemple aux nations,
Nous décrier par nos divisions ?
Veux-tu porter une guerre cruelle
Dans le séjour de la paix éternelle ?
Jusques à quand les saints de ton pays
Mettront-ils donc le trouble en paradis ?
O fiers anglais, gens toujours trop hardis,
Le ciel un jour, à son tour en colère,
Se lassera de vos façons de faire ;
Ce ciel n’aura, grâce à vos soins jaloux,
Plus de dévots qui viennent de chez vous.
Malheureux saint, pieux atrabilaire ;
Patron maudit d’un peuple sanguinaire,
Sois plus traitable ; et, pour Dieu, laisse-moi
Sauver la France et secourir mon roi. "



A ce discours, George, bouillant de rage,
Sentit monter le rouge à son visage ;
Et, des badauds contemplant le patron,
Il redoubla de force et de courage,
Car il prenait Denys pour un poltron.
Il fond sur lui, tel qu’un puissant faucon
Vole de loin sur un tendre pigeon.
Denys recule, et prudent il appelle
A haute voix son âne si fidèle,
Son âne ailé, sa joie et son secours.
" Viens, criait-il, viens défendre mes jours. "
Ainsi parlant, le bon Denys oublie
Que jamais saint n’a pu perdre la vie.



Le beau grison revenait d’Italie
En ce moment ; et moi, conteur succinct,
J’ai déjà dit ce qui fit qu’il revint.
A son Denys dos et selle il présente.
Notre, patron sur son âne élancé,
Sentit soudain sa valeur renaissante.
Subtilement il avait ramassé
Le fer sanglant d’un Anglais trépassé ;