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— Qui, vous, mourir ! lui répondit Monrose ;
Je vous perdrais ! ce prêtre en serait cause !
Ah ! croyez-moi, si vous aviez péché,
Il faudrait vivre et prendre patience :
Est-ce à nous deux de faire pénitence ?
D’un vain remords votre cœur est touché,
Divine Agnès : quelle erreur est la vôtre,
De vous punir pour le péché d’un autre ! "
Si son discours n’était pas éloquent,
Ses yeux l’étaient ; un feu tendre et touchant
Insinuait à la belle attendrie
Quelque désir de conserver la vie.



Fallut dîner : car malgré nos chagrins
(Chétif mortel, j’en ai l’expérience),
Les malheureux ne font point abstinence ;
En enrageant on fait encor bombance ;
Voilà pourquoi tous ces auteurs divins,
Ce bon Virgile, et ce bavard Homère,
Que tout savant, même en bâillant, révère,
Ne manquent point, au milieu des combats,
L’occasion de parler d’un repas.
La belle Agnès dîna donc tête à tête,
Près de son lit, avec ce page honnête.
Tous deux d’abord, également honteux,
Sur leur assiette arrêtaient leurs beaux yeux ;
Puis enhardis tous deux se regardèrent,
Et puis enfin tous deux ils se lorgnèrent.



Vous savez bien que dans la fleur des ans,
Quand la santé brille dans tous vos sens,
Qu’un bon dîner fait couler dans vos veines
Des passions les semences soudaines,
Tout votre cœur cède au besoin d’aimer ;
Vous vous sentez doucement enflammer
D’une chaleur bénigne et pétillante ;
La chair est faible, et le diable vous tente.



Le beau Monrose, en ces temps dangereux
Ne pouvant plus commander à ses feux,
Se jette aux pieds de la belle éplorée :
" O cher objet ! ô maîtresse adorée !
C’est à moi seul désormais de mourir ;
Ayez pitié d’un cœur soumis et tendre :
Quoi ! mon amour ne saurait obtenir