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Il plaidait mieux : il gagna la victoire.
D’un air distrait, le bon prince écouta
Tous les propos dont on le tourmenta :
Puis en sa chambre en secret il alla,
Où, d’un cœur triste et d’une main tremblante,
Il écrivit une lettre touchante,
Que de ses pleurs tendrement il mouilla ;
Pour les sécher Bonneau n’était pas là.
Certain butor, gentilhomme ordinaire,
Fut dépêché, chargé du doux billet.
Une heure après, ô douleur trop amère !
Notre courrier rapporte le poulet.
Le roi, saisi d’une alarme mortelle,
Lui dit : " Hélas ! pourquoi donc reviens-tu ?
Quoi ! mon billet ?… -- Sire, tout est perdu ;
Sire, armez-vous de force et de vertu.
Les Anglais… Sire… ah ! tout est confondu ;
Sire… ils ont pris Agnès et la Pucelle. "



A ce propos dit sans ménagement,
Le roi tomba, perdit tout sentiment,
Et de ses sens il ne reprit l’usage
Que pour sentir l’effet de son tourment.
Contre un tel coup quiconque a du courage
N’est pas, sans doute, un véritable amant :
Le roi l’était ; un tel événement
Le transperçait de douleur et de rage.
Ses chevaliers perdirent tous leurs soins
A l’arracher à sa douleur cruelle ;
Charles fut prêt d’en perdre la cervelle :
Son père, hélas ! devint fou pour bien moins[1].
" Ah ! cria-t-il, que l’on m’enlève Jeanne,
Mes chevaliers, tous mes gens à soutane,
Mon directeur et le peu de pays
Que m’ont laissé mes destins ennemis !
Cruels Anglais, ôte-moi plus encore,

  1. Charles VI, en effet, devint fou; mais on ne sait ni pourquoi ni comment. C'est une maladie qui peut prendre aux rois. La folie de ce pauvre prince fut la cause des malheurs horribles qui désolèrent la France pendant trente ans. (Note de Voltaire, 1774). — Cette note, qui se trouve dans une édition du poëme de la Pucelle augmenté des notes de M. de Morza, a échappé aux éditeurs de Kehl et à leurs successeurs. (R.)