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De mon discours, dira : " Mais se peut-il
Qu’un étourdi, qu’un jeune homme, qu’un page,
Fût près d’Agnès respectueux et sage,
Qu’il ne prît point la moindre liberté ? "
Ah ! laissez là vos censures rigides ;
Ce page aimait ; et, si la volupté
Nous rend hardis, l’amour nous rend timides.



Agnès et lui marchaient donc vers ce bourg,
S’entretenant de beaux propos d’amour,
D’exploits de guerre et de chevalerie,
De vieux romans pleins de galanterie.
Notre écuyer, de cent pas en cent pas,
S’approchait d’elle, et baisait ses beaux bras,
Le tout d’un air respectueux et tendre ;
La belle Agnès ne savait s’en défendre :
Mais rien de plus ; ce jeune homme de bien
Voulait beaucoup, et ne demandait rien[1].
Dedans le bourg ils sont entrés à peine,
Dans un logis son écuyer la mène
Bien fatiguée : Agnès entre deux draps
Modestement repose ses appas.
Monrose court, et va tout hors d’haleine
Chercher partout pour dignement servir,
Alimenter, chauffer, coiffer, vêtir
Cette beauté déjà sa souveraine.
Charmant enfant dont l’amour et l’honneur
Ont pris plaisir à diriger le cœur,
Où sont les gens, dont la sagesse égale
Les procédés de ton âme loyale ?



Dans ce logis (je ne puis le nier)
De Jean Chandos logeait un aumônier.

  1. Imitation de ces vers du Tasse (Gerus. lib., c. II, st. 16) :
    Ei che modesto è si com' essa è bella,
    Brama assai, poco spera, e nulla chiede.

    M. Louis du Bois, à qui cette imitation n'a pas échappé, fait observer que M. Baour-Lormian a rendu avec beaucoup de bonheur le dernier vers :
    L'infortuné languit dans son cruel lien ,
    Désire, a peu d'espoir, et ne demande rien.

    Il aurait dû faire honneur de cette traduction à d'Alembert qui, longtemps avant M. Baour, avait rendu dans les mêmes termes la pensée du Tasse. Voyez,
    dans ses Œuvres, le morceau qui a pour titre : Sur la tombe de mademoiselle de Lespinasse. (R.)