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Certes sitôt je n’espérais te voir ;
Chez les humains tu m’étais nécessaire.
Qui mieux que toi peuplait notre manoir ?
Par toi la France était mon séminaire ;
En te voyant, je perd tout mon espoir.
Mais du destin la volonté soit faite !
Bois avec nous, et prend place à ma droite. "



Le cordelier, plein d’une sainte horreur,
Baise à genoux l’ergot de son seigneur ;
Puis d’un air morne il jette au loin la vue
Sur cette vaste et brûlante étendue,
Séjour de feu qu’habitent pour jamais
L’affreuse Mort, les Tourments, les Forfaits ;
Trône éternel, où sied l’esprit immonde,
Abîme immense où s’engloutit le monde ;
Sépulcre où gît la docte antiquité,
Esprit, amour, savoir, grâce, beauté,
Et cette foule immortelle, innombrable,
D’enfants du ciel, créés tous pour le diable.
Tu sais, lecteur, qu’en ces feux dévorants
Les meilleurs rois sont avec les tyrans.
Nous y plaçons Antonin, Marc-Aurèle ;
Ce bon Trajan, des princes le modèle ;
Ce doux Titus, l’amour de l’univers ;
Les deux Catons, ces fléaux des pervers ;
Ce Scipion, maître de son courage,
Lui qui vainquit et l’amour et Carthage.
Vous y grillez, docte et savant Platon,
Divin Homère, éloquent Cicéron ;
Et vous, Socrate, enfant de la sagesse,
Martyr de Dieu dans la profane Grèce ;
Juste Aristide, et vertueux Solon :
Tous malheureux morts sans confession.



Mais ce qui plus étonna Grisbourdon,
Ce fut de voir en la chaudière grande
Certains quidams, saints ou rois, dont le nom
Orne l’histoire, et pare la légende.
Un des premiers était le roi Clovis.[1]

  1. On ne peut regarder cette damnation de Clovis, et de tant d‘autres, que comme une fiction poétique; cependant on peut, moralement parlant, dire que Clovis a pu être puni pour avoir fait assassiner plusieurs régas se voisins, et