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Semblait cacher d’effroi sa tremblante lumière :
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots[1].
Soudain de mille cris le bruit épouvantable[2]
Vient arracher ses sens à ce calme agréable :
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités ;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes,
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés,
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix : « Qu’on n’épargne personne ;
C’est Dieu, c’est Médicis, c’est le roi qui l’ordonne ! »
Il entend retentir le nom de Coligny ;
Il aperçoit de loin le jeune Téligny[3],
Téligny dont l’amour a mérité sa fille,
L’espoir de son parti, l’honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
« Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu’il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
« Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l’enferme allait briser la porte ;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux
Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que dans les combats, maître de son courage,
Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage.
« À cet air vénérable, à cet auguste aspect,

  1. Boileau, dans son Lutrin, II, 104, a dit :
    Et toujours le sommeil lui verse des pavots.
  2. Ce vers et les suivants sont encore imités de Boileau, épître IV :
    Lorsqu'un cri, tout à coup suivi de mille cris, etc.
  3. Le comte de Téligny avait épousé, il y avait dix mois, la fille de l’amiral. Il avait un visage si agréable et si doux que les premiers qui étaient venus pour le tuer s'étaient laissé attendrir à sa vue; mais d'autres plus barbares le massacrèrent. (Note de Voltaire, 1730.)