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On lève l’ancre, on part, on fuit loin de la terre[1] :
On découvrait déjà les bords de l’Angleterre ;
L’astre brillant du jour à l’instant s’obscurcit ;
L’air siffle, le ciel gronde, et l’onde au loin mugit ;
Les vents sont déchaînés sur les vagues émues ;
La foudre étincelante éclate dans les nues ;
Et le feu des éclairs, et l’abîme des flots,
Montraient partout la mort aux pâles matelots[2].
Le héros, qu’assiégeait une mer en furie,
Ne songe en ce danger qu’aux maux de la patrie,
Tourne ses yeux vers elle, et, dans ses grands desseins,
Semble accuser les vents d’arrêter ses destins[3].
Tel, et moins généreux, aux rivages d’Épire,
Lorsque de l’univers il disputait l’empire,
Confiant sur les flots aux aquilons mutins
Le destin de la terre et celui des Romains,
Défiant à la fois et Pompée et Neptune,
César[4] à la tempête opposait sa fortune.
Dans ce même moment, le Dieu de l’univers,
Qui vole sur les vents, qui soulève les mers,
Ce Dieu dont la sagesse ineffable et profonde
Forme, élève, et détruit les empires du monde,
De son trône enflammé, qui luit au haut des cieux,
Sur le héros français daigna baisser les yeux.
Il le guidait lui-même. Il ordonne aux orages
De porter le vaisseau vers ces prochains rivages
Où Jersey semble aux yeux sortir du sein des flots :
Là, conduit par le ciel, aborda le héros.
Non loin de ce rivage, un bois sombre et tranquille

  1. Le voyage de Henri de Navarre en Angleterre est une fiction. Mornay seul y alla. Voyez plus loin la note 3 de la page 57,
  2. Traduction du vers de Virgile (Æn., I, 95) :
    Presentemque viris intentant omnia mortem.
  3. Comme, dans le premier chant de l'Enéide, Énée essuie une tempête, Voltaire en a imaginé une pour son héros. (G. A.)
  4. Jules César, étant en Épire, dans la ville d'Apollonie, aujourd'hui Cérès, s'en déroba secrètement, et s'embarqua sur la petite rivière de Bolina, qui s'appelait alors l'Anius. Il se jeta seul pendant la nuit dans une barque à douze rames, pour aller lui-même chercher ses troupes, qui étaient au royaume de Naples. Il essuya une furieuse tempête. Voyez Plutarque. (Note de Voltaire, 1730.)