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2i AVANT-l'HOI'OS DU ROI DE PRUS3E.

outre tous les cliants; ce n'est (lu'un même sujet divisé ]nu' Tordre des temps en dix actions principales. Le dénoîiment de la Ilenriade est naturel; c'est la conversion de Henri IV et son entrée ;i Paris (jui met fin aux guerres ci- viles des liirueurs, qui troublaient la France; et en cela le poëte françaisest infiniment supérieur au poëte latin, qui ne termine pas son Enéide d'une manière aussi intéressante qu'il l'avait commencée; ce ne sont plus alors que les étincelles du beau feu que le lecteur admirait dans le commence- ment de ce poëme; on dirait que Virgile en a composé les i)remiers chants dans la fleur de sa jeunesse, et qu'il a composé les derniers dans cet âge où l'imagination mourante et le feu de l'esprit à moitié éteint ne permettent plus aux guerriers d'être héros, ni aux poètes d'écrire.

Si le poëte français imite en quelques endroits Homère et Virgile, c'est pourtant toujours une imitation qui tient de l'original, et dans laquelle on voit que le jugement du poëte français est infiniment supérieur à celui du poëte grec. Comparez la descente d'Ulysse aux enfers* avec le septième chant de la Ilenriade^ vous verrez que ce dernier est enrichi d'une infinité de beautés que M. de Voltaire ne doit qu'à lui-même.

La seule idée d'attribuer au rêve de Henri IV ce qu'il voit dans le ciel, dans les enfers, el ce qui lui est pronostiqué au temple du Destin, vautseule toute V Iliade : car le rêve de Henri IV ramène tout ce qui lui arrive aux règles de la vraisemblance, au lieu que le voyage d'Ulysse aux enfers est dépourvu de tous les agréments qui auraient pu donner l'air de vérité à l'ingénieuse fiction d'Homère.

De plus, tous les épisodes de la Henriade sont placés dans leur lieu; l'art est si bien caché par l'auteur, qu'il est difficile de l'apercevoir: tout y paraît naturel, et l'on dirait que ces fruits qu'a produits la fécondité de son imagination^ et qui embellissent tous les endroits de ce poëme, n'y sont que par nécessité. Vous n'y trouvez point de ces petits détails où se noient tant d'auteurs à qui la sécheresse et l'enflure tiennent lieu de génie. M. de Vol- taire s'applique à décrire d'une manière touchante les sujets pathétiques; il sait le grand art de toucher le cœur; tels sont ces endroits touchants, comme la mort de Coligny, l'assassinat de Valois Je combat du jeune d'Ailly, le congé de Henri IV de la belle Gabrielle d'Estrées, et la mort du brave d'Aumale; on se sent ému à chaque fois qu'on en fait la lecture; en un mot, l'auteur ne s'arrête qu'aux endroits intéressants, et il passe légèrement sur ceux qui ne feraient que grossir son poëme : il n'y a ni du trop ni du trop peu dans la Henriade.

Le merveilleux que l'auteur a employé ne peut choquer aucun lecteur sensé; tout y est ramené au vraisemblable par le système de la religion: tant la poésie et l'éloquence savent l'art de rendre respectables des objets qui ne le sont guère par eux-mêmes, et de fournir des preuves de crédibi- lité capables de séduire !

Toutes les allégories qu'on trouve dans ce poëme sont nouvelles; il y a la Politique, qui habite au Vatican; le temple de l'Amour, la vraie Religion,

1. Odyssée^ chant XL

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