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20 prki-ai:e de m. de marmontel.

dos autres, et parce que le style, tout fleuri et tendre qu'il est, serait trop uniforme; je dis parce qu'il n'a pas le nombre, le rhythme, la mesure, la rime, les inversions, on un mot rien de ce qui constitue cet art si difficile de la poésie, art qui n'a pas plus de rapport avec la prose que la musique n'en a avec le ton ordinaire delà parole.

Il no me reste plus qu'un mot à dire sur l'ortlioi^raplie qu'on a suivie dans cette édition ; c'est celle de l'auteur; il l'a justifiée lui-même^: et puisqu'il n'a contre lui qu'un usage condamné par ceux mêmes qui le sui- vent, il paraît assez inutile de prouver qu'il a eu raison de s'en écarter; je me contenterai donc, pour faire voir combien cet usage est pernicieux à notre poésie, de citer quelques endroits de nos meilleurs poètes, où ils ne l'ont (jue trop scrupuleusement suivi :

-Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers; Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.

3 Ma colère revient, et je me reconnais; Immolons en partant trois ingrats à la fois;

  • . . . Je ne fais que recueillir les voix,

Et dirais vos défauts si je vous en savois.

Il est sur qu'une orthographe conforme à la prononciation eût obvié à ces défauts, et que deux poëtes si .exacts et si heureux dans leurs rimes ne se sont contentés de celles-ci que parce qu'elles satisfaisaient les yeux : ce (jui le prouve, c'est qu'on ne s'est jamais avisé de faire rimer Beauvais, (ju'on prononce comme savais^ avec voix, qu'on a cru cependant pouvoir rimer avec savois. Dans ces deux vers de Boileau :

«La discorde en ces lieux menace de s'accroître; Demain avec l'aurore un lutrin va paroître.

on prononce s'accrailre pour la rime; et cela est assez usité. M" Deshou- lières dit :

6 Puisse durer, puisse croître

L'ardeur de mon jeune amant,

Comme feront sur ce hâtre

Les marques de mon tourment !

Mais ce qui parait singulier, c'est que paroîlre, en faveur de qui

��1. Voltaire n'avait pas encore publié d'ouvrage important avec son orthographe avant cette édition faite par xMarmontel. Le Siècle de Louis XIV{11^)2) fut, comme nous Tavons dit, le premier ouvrage en prose qu'il risqua ainsi fabrique. (G. A.)

2. Mithridate, acte IV, scène i.

3. Ibid., acte IV, scène v.

4. J.-B. Rousseau, le Flatteur, acte I, scène iv.

5. Lutrin, chant II.

6. Célùnène, églogue.

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