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ESSAI SUR LA POÉSIE ÉPIQUE.

tions, point d’unité dans le dessein. Ce poëme est plus sauvage que les nations qui en font le sujet. Vers la fin de l’ouvrage, l’auteur, qui est un des premiers héros du poëme, fait pendant la nuit une longue et ennuyeuse marche, suivi de quelques soldats ; et, pour passer le temps, il fait naître entre eux une dispute au sujet de Virgile, et principalement sur l’épisode de Didon. Alonzo saisit cette occasion pour entretenir ses soldats de la mort de Didon, telle qu’elle est rapportée par les anciens historiens ; et, afin de mieux donner le démenti à Virgile, et de restituer à la reine de Carthage sa réputation, il s’amuse à en discourir pendant deux chants entiers.

Ce n’est pas d’ailleurs un défaut médiocre de son poëme d’être composé de trente-six chants très-longs. On peut supposer avec raison qu’un auteur qui ne sait ou qui ne peut s’arrêter n’est pas propre à fournir une telle carrière.

Un si grand nombre de défauts n’a pas empêché le célèbre Michel Cervantes de dire que l’Araucana peut être comparé avec les meilleurs poèmes d’Italie. L’amour aveugle de la patrie a sans doute dicté ce faux jugement à l’auteur espagnol. Le véritable et solide amour de la patrie consiste à lui faire du bien, et à contribuer à sa liberté autant qu’il nous est possible ; mais disputer seulement sur les auteurs de notre nation, nous vanter d’avoir parmi nous de meilleurs poètes que nos voisins, c’est plutôt sot amour de nous-mêmes qu’amour de notre pays.


CHAPITRE IX.
MILTON[1].

 On trouvera ici, touchant Milton, quelques particularités omises dans l’abrégé de sa Vie qui est au-devant de la traduction française de son Paradis perdu[2]. Il n’est pas étonnant qu’ayant

  1. Voyez aussi le long article que Voltaire, en 1771, consacra, dans ses Questions sur l’Encyclopédie, à Milton.
  2. La traduction du Paradis perdu, par Dupré de Saint-Maur, ne parut qu’en 1729. Le premier alinéa du chapitre sur Milton est de 1733. (B.)