moderne en Europe qui ait fait un poëme épique régulier et sensé, quoique faible, et qui ait osé secouer le joug de la rime : de plus, il est le seul des poëtes italiens dans lequel il n’y ait ni jeux de mots ni pointes, et celui de tous qui a le moins introduit d’enchanteurs et de héros enchantés dans ses ouvrages ; ce qui n’était pas un petit mérite.
Tandis que le Trissin, en Italie, suivait d’un pas timide et faible les traces des anciens, le Camoëns, en Portugal, ouvrait une carrière toute nouvelle, et s’acquérait une réputation qui dure encore parmi ses compatriotes, qui l’appellent le Virgile portugais.
Camoëns, d’une ancienne famille portugaise, naquit en Espagne[1], dans les dernières années du règne célèbre de Ferdinand et d’Isabelle, tandis que Jean II régnait en Portugal. Après la mort de Jean, il vint à la cour de Lisbonne, la première année du règne d’Emmanuel le Grand, héritier du trône et des grands desseins du roi Jean. C’étaient alors les beaux jours du Portugal, et le temps marqué pour la gloire de cette nation.
Emmanuel, déterminé à suivre le projet, qui avait échoué tant de fois, de s’ouvrir une route aux Indes orientales par l’Océan, fit venir, en 1497, Vasco de Gama avec une flotte pour cette fameuse entreprise, qui était regardée comme téméraire et impraticable, parce qu’elle était nouvelle. Gama, et ceux qui eurent la hardiesse de s’embarquer avec lui, passèrent pour des insensés qui se sacrifiaient de gaieté de cœur. Ce n’était qu’un cri dans la ville contre le roi : tout Lisbonne vit partir avec indignation et avec larmes ces aventuriers, et les pleura comme morts. Cependant l’entreprise réussit, et fut le premier fondement du commerce que l’Europe fait aujourd’hui avec les Indes par l’Océan.
Camoëns n’accompagna point Vasco de Gama dans son expédition, comme je l’avais dit[2] dans mes éditions précédentes ; il