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HOMÈRE.

l’on voit un esprit très-superficiel, nulle méthode, et beaucoup de méprises. Le redoutable Despréaux accabla son adversaire en s’attachant uniquement à relever ses bévues ; de sorte que la dispute fut terminée par rire aux dépens de Perrault, sans qu’on entamât seulement le fond de la question. Houdard de Lamotte a depuis renouvelé la querelle[1] : il ne savait pas la langue grecque ; mais l’esprit a suppléé en lui, autant qu’il est possible, à cette connaissance. Peu d’ouvrages sont écrits avec autant d’art, de discrétion, et de finesse, que ses dissertations sur Homère. Mme Dacier, connue par une érudition qu’on eût admirée dans un homme, soutint la cause d’Homère avec l’emportement d’un commentateur. On eût dit que l’ouvrage de M. de Lamotte était d’une femme d’esprit, et celui de Mme Dacier d’un homme savant. L’un, par son ignorance de la langue grecque, ne pouvait sentir les beautés de l’auteur qu’il attaquait ; l’autre, toute remplie de la superstition des commentateurs, était incapable d’apercevoir des défauts dans l’auteur qu’elle adorait.

Pour moi, lorsque je lus Homère, et que je vis ces fautes grossières qui justifient les critiques, et ces beautés plus grandes que ces fautes, je ne pus croire d’abord que le même génie eût composé tous les chants de l’Iliade. En effet, nous ne connaissons, parmi les latins et parmi nous, aucun auteur qui soit tombé si bas après s’être élevé si haut. Le grand Corneille, génie pour le moins égal à Homère, a fait, à la vérité, Pertharite, Suréna, Agésilas, après avoir donné Cinna et Polyeucte : mais Suréna et Pertharite sont des sujets encore plus mal choisis que mal traités : ces tragédies sont très-faibles, mais non pas remplies d’absurdités, de contradictions, et de fautes grossières. Enfin j’ai trouvé chez les Anglais ce que je cherchais, et le paradoxe de la réputation d’Homère m’a été développé. Shakespeare, leur premier poète tragique, n’a guère en Angleterre d’autre épithète que celle de divin. Je n’ai jamais vu à Londres la salle de la comédie aussi remplie à l’Andromaque de Racine, toute bien traduite qu’elle est par Philips, ou au Caton d’Addison, qu’aux anciennes pièces de Shakespeare. Ces pièces sont des monstres en tragédie. Il y en a qui durent plusieurs années ; on y baptise au premier acte le héros, qui meurt de vieillesse au cinquième ; on y voit des sorciers, des paysans, des ivrognes, des bouffons, des fossoyeurs qui creusent une fosse, et qui chantent des airs à boire en jouant avec des têtes de mort. Enfin imaginez ce que vous pourrez de plus

  1. Voyez son Discours sur Homère en tête de son Iliade, 1714, in-12.