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HOMÈRE.

écrire l’histoire en prose. Cet usage, qui paraîtra bien ridicule à beaucoup de lecteurs, était très-raisonnable : un livre, dans ces temps-là, était une chose aussi rare qu’un bon livre l’est aujourd’hui : loin de donner au public l’histoire in-folio de chaque village, comme on fait à présent, on ne transmettait à la postérité que les grands événements qui devaient l’intéresser. Le culte des dieux et l’histoire des grands hommes étaient les seuls sujets de ce petit nombre d’écrits. On les composa longtemps en vers chez les Égyptiens et chez les Grecs, parce qu’ils étaient destinés à être retenus par cœur, et à être chantés : telle était la coutume de ces peuples si différents de nous. Il n’y eut, jusqu’à Hérodote, d’autre histoire parmi eux qu’en vers, et ils n’eurent en aucun temps de poésie sans musique.

À l’égard d’Homère, autant ses ouvrages sont connus, autant est-on dans l’ignorance de sa personne. Tout ce qu’on sait de vrai, c’est que, longtemps après sa mort, on lui a érigé des statues et élevé des temples ; sept villes puissantes se sont disputé l’honneur de l’avoir vu naître ; mais la commune opinion est que de son vivant il mendiait dans ces sept villes, et que celui dont la postérité a fait un dieu a vécu méprisé et misérable, deux choses très-compatibles.

L’Iliade, qui est le grand ouvrage d’Homère, est plein de dieux et de combats peu vraisemblables. Ces sujets plaisent naturellement aux hommes ; ils aiment ce qui leur paraît terrible : ils sont comme les enfants qui écoutent avidement ces contes de sorciers qui les effrayent. Il y a des fables pour tout âge, et il n’y a point de nation qui n’ait eu les siennes. De ces deux sujets qui remplissent l’Iliade, naissent les deux grands reproches que l’on fait à Homère ; on lui impute l’extravagance de ses dieux, et la grossièreté de ses héros : c’est reprocher à un peintre d’avoir donné à ses figures les habillements de son temps. Homère a peint les dieux tels qu’on les croyait, et les hommes tels qu’ils étaient. Ce n’est pas un grand mérite de trouver de l’absurdité dans la théologie païenne ; mais il faudrait être bien dépourvu de goût pour ne pas aimer certaines fables d’Homère. Si l’idée des trois Grâces qui doivent toujours accompagner la déesse de la beauté, si la ceinture de Vénus, sont de son invention, quelles louanges ne lui doit-on pas pour avoir ainsi orné cette religion que nous lui reprochons ? Et si ces fables étaient déjà reçues avant lui, peut-on mépriser un siècle qui avait trouvé des allégories si justes et si charmantes ?

Quant à ce qu’on appelle grossièreté dans les héros d’Homère, on peut rire tant qu’on voudra de voir Patrocle, au neuvième