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ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

Il se livrait pourtant en lui-même un violent combat. Il ne pouvait se taire sur son horrible projet. Il proposait des doutes, en termes généraux, à des religieux qu’il abordait ; demandant si un homme ayant eu la tentation de tuer le roi, et s’en confessant au pénitencier ou à un prêtre ayant charge d’âmes, celui-ci serait tenu de le dénoncer à la justice. Il interrogeait aussi les soldats, leur demandant, au cas où le roi voudrait faire la guerre au souverain pontife, s’ils lui obéiraient. Les soldats répondaient qu’ils y étaient tenus, qu’ils feraient cette guerre-là aussi bien qu’une autre, et que si le roi avait tort, la responsabilité en retomberait sur lui. Tous ces propos expliquent suffisamment les avis qui parvinrent au roi, les bruits qui coururent la ville, auxquels on prêtait peu d’attention avant le crime, mais qui furent ensuite relevés avec soin et qui fortifièrent les soupçons de complot.

Il se désista encore de sa volonté, sortit de Paris, alla jusqu’à Étampes. Pendant qu’il cheminait à la hauteur du jardin de Chanteloup, une charrette marchait devant lui. Dans les angoisses auxquelles il était en proie, frappant la charrette de son couteau, il y rompit la pointe de la longueur d’un pouce. Au faubourg d’Étampes, il aperçut le calvaire, l’Ecce homo. Cette vue lui rendit sa résolution. Il entendit répéter de nouveau que le roi allait faire la guerre au pape et transférer le saint-siége à Paris. Il revint sur ses pas, refit sur une pierre la pointe de son couteau, rentra à Paris. Le couronnement de la reine Marie de Médicis allait avoir lieu à Saint-Denis. C’était une garantie, disait-on, qu’en cas d’accident survenant au roi, il n’éclaterait pas de troubles dans le royaume. Comme Ravaillac ne se proposait pas de troubler le royaume, mais prétendait au contraire le délivrer, il attendit que la reine eût été couronnée à Saint-Denis. Le lendemain, vendredi 14 mai, à quatre heures du soir, étant en embuscade dans le Louvre, entre les deux portes, il vit le roi sortir en carrosse, le suivit jusque devant les Innocents, et, au moment où le carrosse était forcé de s’arrêter ou du moins de marcher très-lentement à cause d’un embarras de voitures, il s’élança, passa son bras au-dessus de la roue et donna au roi deux coups de couteau dans le côté gauche.

On sait le deuil immense de la France, la terreur et la fureur du peuple. Tandis que Ravaillac assassinait Henri IV, parce que ce prince allait faire la guerre au pape, Paul V, apprenant cette mort, disait, les yeux pleins de larmes et la voix étouffée par les sanglots : « J’ai perdu mon bon fils aîné, prince grand, magnanime, sage et incomparable, vrai fils de l’Église et affectionné à ce saint-siége. »