Il s’efforça cependant de chasser l’idée qui l’obsédait. Il se remit à donner des leçons aux petits enfants. Il se confessa, communia le premier jour de carême. Mais les fausses rumeurs venaient le poursuivre dans sa retraite. Le bruit courut parmi le peuple que les huguenots avaient comploté de massacrer tous les catholiques à la dernière fête de Noël, que le roi avait les preuves de ce complot, et qu’il se refusait à faire justice de ceux qui en étaient les auteurs. Ce bruit de représailles de la Saint-Barthélemy se renouvelait périodiquement, et était toujours accueilli avec la même crédulité. Il frappa vivement l’imagination enfiévrée du maître d’école. De plus, de vagues notions sur les projets de Henri IV circulaient dans les provinces : ces projets mal connus y étaient interprétés par la passion politique ou par l’inquiétude religieuse. On savait que le roi, se préparant à attaquer l’Autriche sur tous les points à la fois, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, allait, en outre, diriger contre elle une expédition en Italie. Or dans l’Italie était le pape, qui, depuis quarante ans, avait été l’allié des Impériaux, qui occupaient l’Italie presque entière. De ce fait on concluait que le roi de France allait attaquer le pape, quoique le pape Paul V, fatigué des Impériaux, fût de moitié dans les projets de guerre et de conquête de Henri IV en Italie. « Se trouvant à la maison d’un nommé Béliart, dit Ravaillac dans son interrogatoire, ce Béliart dit avoir appris que l’ambassadeur du pape avait déclaré au roi que, s’il faisait la guerre, il l’excommunierait, et que Sa Majesté aurait fait réponse que ses prédécesseurs avaient mis les papes en leur trône et que, s’il l’excommuniait, il l’en déposséderait. »
Ces propos rendirent à Ravaillac toute sa résolution de tuer le roi, « parce que faire la guerre contre le pape, c’est la faire contre Dieu, d’autant que le pape est Dieu et Dieu est le pape ». Lorsque vint l’époque de la communion pascale, il se sentit indigne, sous l’empire de ces sanguinaires pensées, de s’approcher de la sainte table. Il fit toutefois célébrer une messe en l’église Saint-Paul d’Angoulême, sa paroisse ; sa mère y reçut le corps du Sauveur, mais lui s’abstint. Quand on l’interrogea ensuite sur les sentiments qui l’avaient dirigé en cette occasion, il dit « se ressouvenir que l’affection qu’il avait au saint sacrement de l’autel le lui avait fait faire, parce qu’il espérait que sa mère, allant recevoir son Dieu en ce sacrifice qu’il faisait célébrer, il serait participant de sa communion, la croyant, depuis qu’il est au monde, être portée d’une plus religieuse affection envers son Dieu que lui l’accusé ; c’est pourquoi il pria alors Dieu et s’en remit à elle de son devoir, n’osant pas s’accomplir lui-même. » En disant ces paroles, ajoute le greffier, il jeta pleurs et larmes abondantes.
Il partit d’Angoulême le jour de Pâques et vint se loger au faubourg Saint-Jacques ; puis, pour se rapprocher du Louvre, au faubourg Saint-Honoré, à l’enseigne des Trois-Pigeons. Étant entré à l’hôtellerie des Quinze-Vingts, qui était à côté, il fut refusé parce qu’il y avait trop d’hôtes ; mais sur la table il aperçut un couteau. Ce couteau, tranchant des deux côtés par la pointe, lui sembla propre à exécuter sa volonté ; il le prit. Il le garda quinze jours ou trois semaines en un sac en sa pochette. Ayant rompu, à force de le tourmenter, le manche de baleine qui y était, il en fit mettre un autre de corne de cerf par le frère de son hôte, qui était tourneur.