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DE FRANCE.

Le roi, sollicité de toutes parts, sortit, mais trop tard, de sa profonde léthargie. Il essaya d’abattre la Ligue : il voulut s’assurer de quelques bourgeois les plus séditieux : il osa défendre à Guise l’entrée de Paris ; mais il éprouva à ses dépens ce que c’est que de commander sans pouvoir. Guise, au mépris de ses ordres, vint à Paris ; les bourgeois prirent les armes ; les gardes du roi furent arrêtés, et lui-même fut emprisonné dans son palais.

Rarement les hommes sont assez bons ou assez méchants. Si Guise avait entrepris dans ce jour sur la liberté ou la vie du roi, il aurait été le maître de la France ; mais il le laissa échapper après l’avoir assiégé, et en fit ainsi trop ou trop peu.

Henri III s’enfuit à Blois, où il convoqua les états généraux du royaume. Ces états ressemblaient au parlement de la Grande-Bretagne, quant à leur convocation ; mais leurs opérations étaient différentes. Comme ils étaient rarement assemblés, ils n’avaient point de règles pour se conduire : c’était en général une assemblée de gens incapables, faute d’expérience, de savoir prendre de justes mesures ; ce qui formait une véritable confusion.

Guise, après avoir chassé son souverain de sa capitale, osa venir le braver à Blois, en présence d’un corps qui représentait la nation. Henri et lui se réconcilièrent solennellement ; ils allèrent ensemble au même autel ; ils y communièrent ensemble. L’un promit par serment d’oublier toutes les injures passées, l’autre d’être obéissant et fidèle à l’avenir ; mais dans le même temps le roi projetait de faire mourir Guise, et Guise de faire détrôner le roi.

Guise avait été suffisamment averti de se défier de Henri ; mais il le méprisait trop pour le croire assez hardi d’entreprendre un assassinat. Il fut la dupe de sa sécurité ; le roi avait résolu de se venger de lui et de son frère le cardinal de Guise, le compagnon de ses ambitieux desseins, et le plus hardi promoteur de la Ligue. Le roi fit lui-même provision de poignards, qu’il distribua à quelques Gascons qui s’étaient offerts d’être les ministres de la vengeance. Ils tuèrent Guise dans le cabinet du roi[1] ; mais ces mêmes hommes qui avaient tué le duc ne voulurent point tremper leurs mains dans le sang de son frère, parce qu’il était prêtre et cardinal ; comme si la vie d’un homme qui porte une robe longue et un rabat était plus sacrée que celle d’un homme qui porte un habit court et une épée !

Le roi trouva quatre soldats, qui, au rapport du jésuite Maimbourg, n’étant pas si scrupuleux que les Gascons, tuèrent le

  1. Voyez page 99.