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ESSAI SUR LES GUERRES CIVILES

concourent toujours à la ruine de leurs voisins, encouragea la Ligue de toutes ses forces, dans la vue de mettre la France en pièces, et de s’enrichir de ses dépouilles.

Ainsi Henri III, toujours ennemi des protestants, fut trahi lui-même par des catholiques, assiégé d’ennemis secrets et déclarés, et inférieur en autorité à un sujet qui, soumis en apparence, était réellement plus roi que lui.

La seule ressource pour se tirer de cet embarras était peut-être de se joindre avec Henri de Navarre, dont la fidélité, le courage, et l’esprit infatigable, étaient l’unique barrière qu’on pouvait opposer à l’ambition de Guise, et qui pouvait retenir dans le parti du roi tous les protestants ; ce qui eût mis un grand poids de plus dans sa balance.

Le roi, dominé par Guise, dont il se défiait, mais qu’il n’osait offenser, intimidé par le pape, trahi par son conseil et par sa mauvaise politique, prit un parti tout opposé ; il se mit lui-même à la tête de la sainte Ligue. Dans l’espérance de s’en rendre le maître, il s’unit avec Guise, son sujet rebelle, contre son successeur et son beau-frère, que la nature et la bonne politique lui désignaient pour son allié.

Henri de Navarre commandait alors en Gascogne une petite armée, tandis qu’un grand corps de troupes accourait à son secours de la part des princes protestants d’Allemagne ; il était déjà sur les frontières de Lorraine.

Le roi s’imagina qu’il pourrait tout à la fois réduire le Navarrois, et se débarrasser de Guise. Dans ce dessein, il envoya le Lorrain avec une très-petite et très-faible armée contre les Allemands, par lesquels il faillit à être mis en déroute.

Il fit marcher en même temps Joyeuse, son favori, contre le Navarrois, avec la fleur de la noblesse française, et avec la plus puissante armée qu’on eût vue depuis François Ier. Il échoua dans tous ces desseins : Henri de Navarre défit entièrement à Coutras cette armée si redoutable, et Guise remporta la victoire sur les Allemands.

Le Navarrois ne se servit de sa victoire que pour offrir une paix sûre au royaume, et son secours au roi. Mais, quoique vainqueur, il se vit refusé, le roi craignant plus ses propres sujets que ce prince.

Guise retourna victorieux à Paris, et y fut reçu comme le sauveur de la nation. Son parti devint plus audacieux, et le roi plus méprisé ; en sorte que Guise semblait plutôt avoir triomphé du roi que des Allemands.