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DE FRANCE.

obligeantes, toutes les assurances d’amitié, tous les serments, si sacrés parmi les hommes, furent prodigués par Catherine et par le roi. Le reste de la cour n’était occupé que de fêtes, de jeux, et de mascarades. Enfin une nuit, qui fut la veille de la Saint-Barthélemy, au mois d’août 1572, le signal fut donné à minuit. Toutes les maisons des protestants furent forcées et ouvertes en même temps. L’amiral de Coligny, alarmé du tumulte, sauta de son lit. Une troupe d’assassins entra dans sa chambre ; un certain Besme, Lorrain[1] qui avait été élevé domestique dans la maison de Guise, était à leur tête : il plongea son épée dans le sein de l’amiral, et lui donna un coup de revers sur le visage.

Le jeune Henri, duc de Guise, qui forma ensuite la ligue catholique, et qui fut depuis assassiné à Blois, était à la porte de la maison de Coligny, attendant la fin de l’assassinat, et cria tout haut : Besme, cela est-il fait ? Immédiatement après, les assassins jetèrent le corps de l’amiral par la fenêtre. Coligny tomba et expira aux pieds de Guise, qui lui marcha sur le corps ; non qu’il fût enivré de ce zèle catholique pour la persécution, qui dans ce temps avait infecté la moitié de la France, mais il y fut poussé par l’esprit de vengeance, qui, bien qu’il ne soit pas en général si cruel que le faux zèle pour la religion, mène souvent à de plus grandes bassesses.

Cependant tous les amis de Coligny étaient attaqués dans Paris : hommes, enfants, tout était massacré sans distinction : toutes les rues étaient jonchées de corps morts. Quelques prêtres, tenant un crucifix d’une main et une épée de l’autre, couraient à la tête des meurtriers, et les encourageaient, au nom de Dieu, à n’épargner ni parents ni amis.

Le maréchal de Tavannes, soldat ignorant et superstitieux, qui joignait la fureur de la religion à la rage du parti, courait à cheval dans Paris, criant aux soldats : « Du sang, du sang ! La saignée est aussi salutaire au mois d’août que dans le mois de mai. »

Le palais du roi fut un des principaux théâtres du carnage, car le prince de Navarre logeait au Louvre, et tous ses domestiques étaient protestants. Quelques-uns d’entre eux furent tués dans leurs lits avec leurs femmes ; d’autres s’enfuyaient tout nus, et étaient poursuivis par les soldats sur les escaliers de tous les appartements du palais, et même jusqu’à l’antichambre du roi. La

  1. Voltaire a dit plus tard que Besme était Allemand ; voyez page 78. Il était Bohémien.