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ESSAI SUR LES GUERRES CIVILES

cheval fougueux est plus dangereux qu’utile dans un jour de bataille. Allons, poursuivit-il, le prince de Condé, avec une jambe cassée et le bras en écharpe, ne craint point de donner bataille, puisque vous le suivez. » Le succès ne répondit point à son courage : il perdit la bataille; toute son armée fut mise en déroute. Son cheval ayant été tué sous lui, il se tint tout seul, le mieux qu’il put, appuyé contre un arbre, à demi évanoui, à cause de la douleur que lui causait son mal, mais toujours intrépide, et le visage tourné du côté de l’ennemi. Montesquiou, capitaine des gardes du duc d’Anjou, passa par là quand ce prince infortuné était en cet état, et demanda qui il était. Comme on lui dit que c’était le prince de Condé, il le tua de sang-froid.

Après la mort de Condé, Coligny eut sur les bras tout le fardeau du parti. Jeanne d’Albret, alors veuve, confia son fils à ses soins. Le jeune Henri, alors âgé de quatorze ans, alla avec lui à l’armée, et partagea les fatigues de la guerre. Le travail et les adversités furent ses guides et ses maîtres.

Sa mère et l’amiral n’avaient point d’autre vue que de rendre en France leur religion indépendante de l’Église de Rome, et d’assurer leur propre autorité contre le pouvoir de Catherine de Médicis.

Catherine était déjà débarrassée de plusieurs de ses rivaux. François, duc de Guise, qui était le plus dangereux et le plus nuisible de tous, quoiqu’il fût de même parti, avait été assassiné devant Orléans. Henri de Guise, son fils, qui joua depuis un si grand rôle dans le monde, était alors fort jeune.

Le prince de Condé était mort. Charles IX, fils de Catherine, avait pris le pli qu’elle voulait, étant aveuglément soumis à ses volontés. Le duc d’Anjou, qui fut depuis Henri III, était absolument dans ses intérêts ; elle ne craignait d’autres ennemis que Jeanne d’Albret, Coligny, et les protestants. Elle crut qu’un seul coup pouvait les détruire tous, et rendre son pouvoir immuable.

Elle pressentit le roi, et même le duc d’Anjou, sur son dessein. Tout fut concerté ; et les pièges étant préparés, une paix avantageuse fut proposée aux protestants. Coligny, fatigué de la guerre civile, l’accepta avec chaleur. Charles, pour ne laisser aucun sujet de soupçon, donna sa sœur en mariage au jeune Henri de Navarre. Jeanne d’Albret, trompée par des apparences si séduisantes, vint à la cour avec son fils, Coligny, et tous les chefs des protestants. Le mariage fut célébré[1] avec pompe : toutes les manières

  1. Le 18 auguste 1572.