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Dieu mit, avant les temps, son trône inébranlable.
Le ciel est sous ses pieds ; de mille astres divers[1]
Le cours, toujours réglé, l’annonce à l’univers.
La puissance, l’amour, avec l’intelligence,
Unis et divisés, composent son essence[2].
Ses saints, dans les douceurs d’une éternelle paix,
D’un torrent de plaisirs enivrés à jamais,
Pénétrés de sa gloire, et remplis de lui-même,
Adorent à l’envi sa majesté suprême.
Devant lui sont ces dieux, ces brûlants séraphins,
À qui de l’univers il commet les destins.
Il parle, et de la terre ils vont changer la face :
Des puissances du siècle ils retranchent la race :
Tandis que les humains, vils jouets de l’erreur,
Des conseils éternels accusent la hauteur.
Ce sont eux dont la main, frappant Rome asservie,
Aux fiers enfants du Nord a livré l’Italie,
L’Espagne aux Africains, Solyme aux Ottomans :
Tout empire est tombé, tout peuple eut ses tyrans,
Mais cette impénétrable et juste Providence
Ne laisse pas toujours prospérer l’insolence ;
Quelquefois sa bonté, favorable aux humains,
Met le sceptre des rois dans d’innocentes mains.
Le père des Bourbons à ses yeux se présente,
Et lui parle en ces mots d’une voix gémissante :
Père de l’univers, si tes yeux quelquefois
Honorent d’un regard les peuples et les rois,
Vois le peuple français à son prince rebelle ;
S’il viole tes lois, c’est pour t’être fidèle.

  1. L'hémistiche de mille astres divers est critiqué comme remplissage dans la Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence dans la langue française, au mot Grandeur de Dieu ; voyez tome XXXIX, page 223.
  2. Ces vers sur le Dieu trinitaire des catholiques sont inspirés (qui le croirait?) de Chapelain, tant moqué par Boileau, et M. Villemain prétend que Chapelain l'emporte sur Voltaire :
    Loin dos murs flamboyants qui renferment le monde,
    Dans le centre caché d'une clarté profonde,
    Dieu repose en lui-même, et vêtu de splendeur.
    Sans bornes est rempli de sa propre grandeur.
    Une triple personne en une seule essence,
    Le suprême pouvoir, la suprême science,
    Et le suprême amour, unis en trinité,
    De son règne éternel forment la majesté. (G. A.)