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Que du moins sur ma tombe un jour on puisse lire :
« Henri, de ses sujets ennemi généreux,
« Aima mieux les sauver que de régner sur eux. »
Il dit[1] ; et dans l’instant il veut que son armée
Approche sans éclat de la ville affamée,
Qu’on porte aux citoyens des paroles de paix,
Et qu’au lieu de vengeance on parle de bienfaits.
À cet ordre divin ses troupes obéissent.
Les murs en ce moment de peuple se remplissent ;
On voit sur les remparts avancer à pas lents
Ces corps inanimés, livides, et tremblants,
Tels qu’on feignait jadis que des royaumes sombres
Les mages à leur gré faisaient sortir les ombres
Quand leur voix, du Cocyte arrêtant les torrents,
Appelait les enfers, et les mânes errants.
Quel est de ces mourants l’étonnement extrême !
Leur cruel ennemi vient les nourrir lui-même.
Tourmentés, déchirés par leurs fiers défenseurs,
Ils trouvent la pitié dans leurs persécuteurs.
Tous ces événements leur semblaient incroyables.
Ils voyaient devant eux ces piques formidables,
Ces traits, ces instruments des cruautés du sort,
Ces lances qui toujours avaient porté la mort,
Secondant de Henri la généreuse envie,
Au bout d’un fer sanglant leur apporter la vie.
« Sont-ce là, disaient-ils, ces monstres si cruels ?
Est-ce là ce tyran si terrible aux mortels,
Cet ennemi de Dieu, qu’on peint si plein de rage ?
Hélas ! du Dieu vivant c’est la brillante image ;
C’est un roi bienfaisant, le modèle des rois ;
Nous ne méritons pas de vivre sous ses lois.
Il triomphe, il pardonne, il chérit qui l’offense.
Puisse tout notre sang cimenter sa puissance !
Trop dignes du trépas dont il nous a sauvés,

  1. Henri IV fut si bon, qu'il permettait à ses officiers d'envoyer (comme le dit Mézeray) des rafraîchissements à leurs anciens amis et aux dames. Les soldats en faisaient autant, à l'exemple des officiers. Le roi avait de plus la générosité de laisser sortir de Paris presque tous ceux qui se présentaient. Par là il arriva effectivement que les assiégeants nourrirent les assiégés. (Note de Voltaire., 1730.)