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L’ardeur, la fermeté, la force, la souplesse,
Parut des deux côtés en ce choc éclatant.
Cent coups étaient portés et parés à l’instant.
Tantôt avec fureur l’un d’eux se précipite ;
L’autre d’un pas léger se détourne, et l’évite :
Tantôt, plus rapprochés, ils semblent se saisir ;
Leur péril renaissant donne un affreux plaisir ;
On se plaît à les voir s’observer et se craindre,
Avancer, s’arrêter, se mesurer, s’atteindre :
Le fer étincelant, avec art détourné,
Par de feints mouvements trompe l’œil étonné.
Telle on voit du soleil la lumière éclatante
Briser ses traits de feu dans l’onde transparente,
Et, se rompant encor par des chemins divers,
De ce cristal mouvant repasser dans les airs[1].
Le spectateur surpris, et ne pouvant le croire,
Voyait à tout moment leur chute et leur victoire.
D’Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux :
Turenne est plus adroit, et moins impétueux ;
Maître de tous ses sens, animé sans colère,
Il fatigue à loisir son terrible adversaire.
D’Aumale en vains efforts épuise sa vigueur :
Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur.
Turenne, qui l’observe, aperçoit sa faiblesse ;
Il se ranime alors, il le pousse, il le presse ;
Enfin, d’un coup mortel, il lui perce le flanc.
D’Aumale est renversé dans les flots de son sang :
Il tombe, et de l’enfer tous les monstres frémirent ;
Ces lugubres accents dans les airs s’entendirent :
« De la Ligue à jamais le trône est renversé ;
Tu l’emportes, Bourbon ; notre règne est passé[2]. »
Tout le peuple y répond par un cri lamentable.
D’Aumale sans vigueur, étendu sur le sable,
Menace encor Turenne, et le menace en vain ;
Sa redoutable épée échappe de sa main :

  1. « Je suis, je crois, le premier poëte, dit Voltaire à propos de ce passage, qui ait tiré une comparaison de la réfraction de la lumière, et le premier Français qui ait peint des coups d’escrime portés, parés, et détournés. » (Lettre à Frédéric, 1739.)
  2. Voltaire avait dit dans Œdipe, acte III, scène iv :
    Trembler, malheureux roi, votre règne est passé.