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Quelle douleur, ô ciel ! attendrit ses adieux[1] !
Plein de l’aimable objet qu’il fuit et qu’il adore,
En condamnant ses pleurs, il en versait encore.
Entraîné par Mornay, par l’Amour attiré,
Il s’éloigne, il revient, il part désespéré.
Il part[2]. En ce moment d’Estrée, évanouie,
Reste sans mouvement, sans couleur, et sans vie ;
D’une soudaine nuit ses beaux yeux sont couverts.
L’Amour, qui l’aperçut, jette un cri dans les airs ;
Il s’épouvante, il craint qu’une nuit éternelle
N’enlève à son empire une nymphe si belle,
N’efface pour jamais les charmes de ces yeux
Qui devaient dans la France allumer tant de feux.
Il la prend dans ses bras ; et bientôt cette amante
Rouvre, à sa douce voix, sa paupière mourante,
Lui nomme son amant, le redemande en vain,
Le cherche encor des yeux, et les ferme soudain.
L’Amour, baigné des pleurs qu’il répand auprès d’elle,
Au jour qu’elle fuyait tendrement la rappelle ;
D’un espoir séduisant il lui rend la douceur,
Et soulage les maux dont lui seul est l’auteur.
Mornay, toujours sévère et toujours inflexible,
Entraînait cependant son maître trop sensible.
La Force et la Vertu leur montrent le chemin ;
La Gloire les conduit, les lauriers à la main ;
Et l’Amour indigné, que le devoir surmonte,
Va cacher loin d’Anet sa colère et sa honte.

  1. Racine a dit dans Mithridate, acte Ier, scène II :
    Quelle vive douleur attendrit mes adieux!
  2. Les couplets de Henri IV sur son départ sont d'un bien autre sentiment et d’un tout autre ton que la tirade qu'il vient de débiter ici à Mornay :
    Charmante Galirielle,
    Percé de mille dards,
    Quand la gloire m'appelle
    Sous les drapeaux de Mars,
    Cruelle départie !
    Malheureux jour!
    Que ne suis-je sans vie
    Ou sans amour! (G. A.)