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Abandonné des siens, le roi, dans ces bois sombres,
Suit cet astre ennemi, brillant parmi les ombres :
Comme on voit quelquefois les voyageurs troublés
Suivre ces feux ardents de la terre exhalés,
Ces feux dont la vapeur maligne et passagère
Conduit au précipice, à l’instant qu’elle éclaire.
Depuis peu la fortune, en ces tristes climats,
D’une illustre mortelle avait conduit les pas.
Dans le fond d’un château tranquille et solitaire,
Loin du bruit des combats elle attendait son père,
Qui, fidèle à ses rois, vieilli dans les hasards,
Avait du grand Henri suivi les étendards.
D’Estrée[1] était son nom : la main de la nature
De ses aimables dons la combla sans mesure.
Telle ne brillait point, aux bords de l’Eurotas,
La coupable beauté qui trahit Ménélas ;
Moins touchante et moins belle à Tarse on vit paraître
Celle qui des Romains avait dompté le maître[2],
Lorsque les habitants des rives du Cydnus,
L’encensoir à la main, la prirent pour Vénus.
Elle entrait dans cet âge, hélas ! trop redoutable,
Qui rend des passions le joug inévitable.
Son cœur, né pour aimer, mais fier et généreux,
D’aucun amant encor n’avait reçu les vœux :
Semblable en son printemps à la rose nouvelle,
Qui renferme en naissant sa beauté naturelle,

  1. Gabrielle d’Estrées, d’une ancienne maison de Picardie, fille et petite-fille d’un grand maître de l’artillerie, mariée au seigneur de Liancourt, et depuis duchesse de Beaufort, etc.

    Henri IV en devint amoureux pendant les guerres civiles; il se dérobait quelquefois pour l’aller voir. Un jour même il se déguisa en paysan, passa au travers des gardes ennemies, et arriva chez elle, non sans courir risque d’être pris.

    On peut voir ces détails dans l’Histoire des amours du grand Alcandre, écrite par une princesse de Conti. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. Cléopàtre allant à Tarse, où Antoine l’avait mandée, fit ce voyage sur un vaisseau brillant d’or et orné des plus belles peintures ; les voiles étaient de pourpre, les cordages d’or et de soie. Cléopàtre était habillée comme on représentait alors la déesse Vénus; ses femmes représentaient les Nymphes et les Grâces; la poupe et la proue étaient remplies des plus beaux enfants déguisés en Amours. Elle avançait dans cet équipage sur le fleuve Cydnus, au son de mille instruments de musique. Tout le peuple de Tarse la prit pour la déesse. On quitta le tribunal d’Antoine pour courir au-devant d’elle. Ce Romain lui-même alla la recevoir, et en devint éperdument amoureux. Plutarque. (Id,, 1730.)