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Que la Ligue déteste et que la Ligue estime ; Turenne, qui, depuis, de la jeune Bouillon

    sciller à Henri IV d'aller à la messe. Le cardinal Duperron l'exhortant un jour à quitter le calvinisme, il lui répondit : « Je me ferai catholique quand vous aurez supprimé l'Évangile; car il est si contraire à l'Église romaine, que je ne peux pas croire que l'un et l'autre aient été inspirés par le même esprit. » Le pape lui écrivit un jour une lettre remplie de louanges sur la sagesse de son ministère; le pape finissait sa lettre comme un bon pasteur, par prier Dieu qu'il ramenât sa brebis égarée, et conjurait le duc de Sully de se servir de ses lumières pour entrer dans la bonne voie. Le duc lui répondit sur le même ton; il l'assura qu'il priait Dieu tous les jours pour la conversion de Sa Sainteté. Cette lettre est dans ses mémoires. (Note de Voltaire, 1723.)

    Addition des éditeurs de Kehl.

    [Ce sont les écrivains qui font la réputation des ministres. Pour les bien juger, il faudrait non-seulement connaître les principes de l'administration, mais encore avoir lu les lois, les règlements, que ces ministres ont faits, et savoir quelle a été l'influence de ces lois, de ces règlements sur la nation entière, sur les différentes provinces. Presque personne ne prend cette peine; et on juge les ministres sur la parole des historiens ou des écrivains politiques.

    Sully et Colbert en sont un exemple frappant. Sous le règne de Louis XIV, les gens de lettres français étaient en général plongés dans une ignorance profonde sur tout ce qui regardait l'administration d'un État; et les hommes qui se mêlaient d'affaires étaient hors d'état d'écrire deux phrases qu'on pût lire. Le système tourna vers ces objets les esprits des hommes de tous les ordres. On s'occupa beaucoup de commerce; et, comme Colbert avait fait un grand nombre de règlements sur les manufactures, comme il avait encouragé le commerce maritime, formé des compagnies, il devint, dans tous les écrits, le modèle des grands ministres. Cependant les sciences politiques firent partout des progrès; on cherchait à les appuyer sur des principes généraux et fixes ; on en trouva quelques-uns. On observa dans l'administration de Colbert un grand nombre de défauts; mais on avait besoin d'offrir un autre objet à l'admiration publique, et on choisit Sully : le choix était heureux. Ministre, confident, ami d'un roi dont la mémoire est chérie et respectée, il avait conservé la réputation d'un homme d'une vertu forte, d'une franchise austère ; il avait été un sévère économe du trésor public : on opposa donc Sully à Colbert. On alla plus loin : on supposa que chacun de ces ministres avait un système d'administration; que ces systèmes étaient opposés; que l'un voulait favoriser l'agriculture, tandis que l'autre la sacrifiait à l'encouragement des manufactures. Mais il est facile, en lisant les lois qu'ils ont faites, de voir que ni l'un ni l'autre n'eurent jamais un système; de leur temps il était même impossible d'en avoir. Sully fut supérieur à Colbert, parce qu'il s'opposait avec courage aux dépenses que Henri voulait faire par générosité ou par faiblesse; au lieu que Colbert flatta le goût de Louis XIV pour les fêtes et la pompe de la cour; que Sully mérita la confiance de Henri IV en sacrifiant pour lui ses biens et son sang, et que Colbert, après avoir gagné la confiance de Mazarin, en l'aidant à augmenter ses trésors, obtint celle de Louis XIV, en se rendant le délateur de Fouquet et l'instrument de sa perte; que Sully, terrible aux courtisans, voulait ménager le peuple, et que Colbert sacrifia le peuple à la cour.

    Sully n'encouragea le commerce des blés que par des permissions particulières d'exporter, plus fréquentes à la vérité que du temps de Colbert, mais qu'il faisait