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Bienfaiteur de ce peuple ardent à l’outrager,

    beaucoup de lois sur ces objets, et qu'on lisait dans le préambule qu'elles avaient pour objet de favoriser le commerce et les manufactures. La France n’avait jamais eu de marine; elle en eut une sous Colbert: non que ce ministre eût des connaissances dans la marine; mais il dépensa beaucoup, et il eut le bonheur de trouver des officiers de mer habiles, audacieux, et entreprenants. Plusieurs Français tentèrent des établissements dans les deux Indes; et, tantôt en les encourageant, tantôt en profitant de leur ruine, Colbert parvint à établir quelques colonies, qui, bien que faibles et mal administrées, paraissaient aux yeux des Français, alors peu instruits, avoir augmenté leur puissance et leurs richesses. Enfin Colbert, en favorisant les beaux-arts, en protégeant les gens de lettres, se fit des partisans qui célébrèrent ses louanges. La persécution qu'il suscita contre Saint-Fvremond; l'exclusion des grâces de la cour, par laquelle La Fontaine fut puni de son attachement pour Fouquet ; la dureté de Colbert envers Charles Perrault, son injustice à l'égard de Charles Patin, annonçaient une âme étroite et dure, peu sensible aux arts, et seulement frappée de la vanité de les protéger. Mais à peine ces petitesses furent-elles remarquées : l'Académie des sciences établie, de grands voyages utiles aux sciences entrepris aux frais du roi, l'Observatoire construit, subjuguèrent les esprits. Colbert mourut, et ses successeurs le firent regretter. Ils n'eurent pas d'autres principes d'administration; ils augmentèrent les impôts, et parurent moins occupés encore du bonheur du peuple. Les manufactures, le commerce, furent aussi mal administrés, et moins encouragés. La marine tomba; la première guerre qui suivit sa mort fut mêlée de revers, et la seconde fut malheureuse. Enfin, plus Louvois était haï, plus Colbert son rival gagnait dans l'opinion ; sa conduite envers Fouquet fut presque oubliée; on lui pardonna une fortune immense et le faste de sa maison de Sceaux, en les comparant à la fortune scan- daleuse d'Emeri, aux prodigalités de Fouquet, et aux richesses des traitants de la guerre de la succession. A la mort de Louis XIV, la réputation de Colbert augmenta encore : les principes de l'administration des finances, du commerce, et des manufactures, étaient inconnus; et, lorsqu'on commença en France à s'occuper de ces objets, ce fut pour adopter sur ces matières l'opinion de Colbert. On se plaignait de n'avoir plus de marine, et, sous lui, la marine avait été florissante. On regrettait la magnificence de la cour de Louis XIV. On sentait les maux qu'avait causés la rigueur exercée contre les protestants, et l'on croyait que Colbert les avait protégés ; on était dégoûté de la guerre, et Colbert passait pour s'être opposé à la guerre. Les dépenses excessives qu'il faisait pendant la paix, pour satisfaire le goût de Louis XIV, paraissaient des moyens de faire fleurir dans l'État les arts de luxe, d'animer les manufactures, de rendre les étrangers tributaires de notre industrie. Ce n'était pas après les opérations de Law, et le haussement excessif des monnaies, qu'on pouvait reprocher à Colbert les retranchements des rentes et une faible augmentation dans la valeur du marc d'argent. M. de Voltaire trouva donc la réputation de Colbert établie, et il suivit l'opinion de son siècle : on ne peut lui en faire un reproche. Ce qui, dans un homme occupé d'études politiques, serait une preuve d'ignorance ou d'un penchant secret pour des principes oppresseurs, n'est qu'une erreur très-pardonnable dans un écrivain qui a cru pouvoir s'en rapporter à l'opinion des hommes les plus éclairés de l'époque où il écrivait; et lorsque c'est l'amour des arts, de la paix, et de la tolérance, qui a inspiré cette erreur, il y aurait de l'injustice à ne point la par-