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veines. Vous n’êtes roi que parce qu’il a été un grand homme, et la France, qui vous souhaite autant de vertus et plus de bonheur qu’à lui, se flatte que le jour et le trône que vous lui devez vous engageront à l’imiter.

« Henri IV était, de l’aveu de toutes les nations, le meilleur prince, le maître le plus doux, le plus intrépide capitaine, le plus sage politique de son siècle. Il conquit son royaume à force de vaincre et de pardonner. Après plus de cent combats sanglants et plus de deux cents siéges, il se vit enfin maître de la France, mais de la France désolée et épuisée d’hommes et d’argent ; les campagnes étaient incultes, les villes désertes, les peuples misérables. Henri IV en peu d’années répara tant de ruines ; et parce qu’il était juste et qu’il savait choisir de bons ministres, il rétablit l’ordre dans l’État et dans les finances ; il sut en même temps enrichir son épargne et ses peuples.

« Heureux d’avoir connu l’adversité, il compatissait aux malheurs des hommes, et il modérait les rigueurs du commandement que lui-même il avait ressenties. 2 « Les autres rois ont des courtisans, il avait des amis ; son cœur était plein de tendresse pour ses vrais serviteurs. Il écrivit au fameux Duplessis- Mornay, qui avait reçu un outrage : « Comme votre roi, je vous ferai justice ; << et comme votre ami, je vous offre mon épée. » Plusieurs Français gardent avec un respect religieux quelques lettres écrites de sa main, monument de sa justice et de sa bonté. Une à M. de Caumartin, depuis garde des sceaux, commençait par ces mots : Euge¹, serve bone et fidelis ; quia supra pauca fuisti fidelis, supra multa te constituam. « Courage, bon et fidèle serviteur ; « puisque vous m’avez bien servi dans les petites choses, je vous en con- « fierai de plus importantes. » « Tout le monde connaît celle qu’il écrivit au duc de Sully au sujet des habitants des vallées de la Loire, ruinés par les débordements de cette rivière : « Pour ce qui touche la ruine des eaux, Dieu m’a donné mes sujets pour « les conserver comme mes enfants ; que mon conseil les traite avec charité. « Les aumônes sont agréables à Dieu, particulièrement en cet accident ; j’en « sentirois ma conscience chargée ; que l’on les secoure de tout ce qu’on (( jugera que je le pourrai faire. » « Ce roi, qui aimait véritablement ses sujets, ne regarda jamais leurs plaintes comme des séditions, ni les remontrances des magistrats comme des attentats à l’autorité souveraine. Quelquefois son conseil prit des moyens odieux pour rétablir les finances. On créa des impôts qui firent soulever les peuples. Henri IV réprima doucement les séditieux, il rétablit ces impôts pour marquer son pouvoir, et les révoqua presque en même temps pour signaler sa bonté. Les députés des villes où les séditions s’étaient allumées vinrent se jeter aux pieds du roi, dans la crainte qu’on ne fit bâtir des cita- delles dans leurs villes : « Je n’en veux point avoir d’autres, reprit le roi, « que le cœur de mes sujets. » « Ce fut à peu près dans une pareille occurrence que l’un des plus sages 1. Matthieu, xxv, 21. Saint Luc, xix, 17, se sert d’autres termes.